
L’abîme
Sadegh Hedayat
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« Je ne peux m’assoir dans une chambre où il y aurait une fenêtre derrière moi, c’est comme si mes pensées s’éparpillaient. » Dans la première nouvelle de ce recueil qui en compte cinq, un homme se fait construire une chambre à son goût. Tubulaire, tendue de tissu rouge et sans ouverture sur l’extérieur, elle ne risque pas de laisser s’échapper ses pensées. Dans la nouvelle suivante, un étudiant timoré et chaste tombe éperdument amoureux d’un mannequin en porcelaine aperçu dans une vitrine. Lorsqu’il retourne en Iran, quelques années plus tard, l’un de ses sacs de voyage ressemble à s’y méprendre à un cercueil…
Ce qui rassemble ces récits, c’est certainement la mort qui rôde, d’un bout à l’autre du recueil. On retrouve ici l’atmosphère lourde, suave et crépusculaire de l’auteur de La Chouette aveugle, alliant l’humour à la cruauté. La force de ces nouvelles tient à l’absurde des situations et aux malentendus, à la manière avec laquelle les personnages semblent courir, tête baissée, vers cet abîme qui donne son nom au recueil. « Je voulais m’engloutir dans un trou comme les bêtes en hiver, je voulais me plonger dans ma propre obscurité ». Si les personnages d’Hedayat courent ainsi, c’est en vertu d’un schéma tragique mais aussi presque par superstition. Comme s’il valait mieux choisir le gouffre plutôt que risquer de s’exposer à la lumière d’un réel trop cru.