« Les poèmes de La Vallée du Test ont en partie été écrits dans la région qui donne son nom au recueil : dans la Vallée du Test, au Royaume-Uni. C’est aussi là où le narrateur de Space trouve une clé pour les poèmes qu’il veut faire. Ils se divisent en 14 sections + une nouvelle et sont coupés de manière arbitraire : en vers de 4 mots. Lorsque le dernier vers fait moins de 4 mots, il est rejeté au début du poème et fait office de titre. Les poèmes qui sont des multiples de 4 sont donc sans titre. Comme un pantalon bien coupé, ils tombent juste.
Je voulais fabriquer pour mes poèmes un mécanisme simple, à la fois désinvolte et élégant, intégré à leur lecture, quelque chose qui ressemble à une montre à mouvement perpétuel, sauf que le mouvement involontaire du poignet devient ici celui de l’œil, et le poème, comme un fleuve, se remonte tout seul. Pour le finir, il faut le recommencer, et on peut à nouveau choisir de le descendre. C’est aussi une façon de laisser des poèmes en apesanteur, en zéro-g, de ne pas trop charger la barque. Ce gimmick est une parade formelle qui prend la coupe au premier degré : il y a dans La Vallée une espèce de tension entre la tentation de tout laisser pousser, et une véritable passion pour le matériel d’élagage.
Les titres de sections n’ont pas toujours de lien avec leur contenu. Ce sont surtout des rappels des principaux thèmes qui parcourent le livre : le monde aquatique, les surfaces, le brillant des choses, la science, les religions et la magie, notre manière de négocier avec la perte et l’inconnu, l’Occident, les appareils d’état, la langue diplomatique, la poésie comme technologie. Je vois ce recueil comme une promenade qui laisse deviner, à mesure qu’on avance, une géographie particulière, une Vallée avec ses Oiseaux, Bêtes et Fleurs (D.H Lawrence, 1923), ses personnages, leurs moyens de transport, leurs allers et venues, leurs pensées, leurs jours, leurs nuits.
La Vallée du Test fait aussi écho à des titres comme A test of Poetry, de Zukofsky, Monsieur Teste, de Paul Valery, ou Tests of Time de William H. Gass, et je crois que ce livre continue, comme d’autres avant lui, à penser l’espace du poème comme un test, un passage, c’est à dire une épreuve, en même temps qu’un témoin de tous les jours. Je me rappelle aussi l’étymologie de ce mot, qui désigne chez les métallurgistes et les alchimistes, une coupelle pour isoler les métaux précieux, et par extension l’action permettant d’en « tester » la pureté. La Vallée du Test est cela : un même tarif de versification appliqué à tous les poèmes, pour en éprouver la pureté. Ils ont des valeurs différentes, volatiles, et se mélangent dans la même forme creuse. » (Gabriel Gauthier)