Pier Paolo Pasolini | Collection penser-situer (Mars 2023)
Traduction : François Dupuigrenet Desroussiles
Préface : Florent Lahache
Des lettres arrivent par dizaines de Turin, de Florence, de Milan, de Naples, de Rome ou de Parme. Elles sont écrites par des mécaniciens, des lycéens, des ouvriers, des mères de famille, des bibliothécaires, des jeunes communistes, des catholiques. Elles adressent à Pasolini des remarques, des demandes, des questions. Toutes sortes de questions : la solution à un dilemme moral, des conseils de lectures, comment concilier engagement politique et vie de famille, un jugement sur l’Ulysse de Joyce, une définition de l’intellectuel engagé, un commentaire sur la tentative de suicide de Brigitte Bardot, la conception marxiste de la religion, Le désert rouge d’Antonioni, le fascisme, le chômage ou la représentation des ouvriers au cinéma… Et Pasolini de répondre, assidûment, souvent longuement, chaque semaine, dans les pages d’un magazine à grand tirage. Cette correspondance improbable existe : elle fut publiée dans l’hebdomadaire communiste Vie Nuove entre 1960 et 1965 sous la forme d’une rubrique sobrement intitulée « Dialoghi con Pasolini ».
La présente anthologie en reprend les échanges les plus marquants, qui permettent de saisir la singularité de cette expérimentation épistolaire, ses résonnances littéraires et politiques, mais aussi d’éclairer les intentions de l’écrivain-cinéaste, ses choix artistiques, ses analyses sur la censure, la sexualité, la religion, les avant-gardes, la littérature et le cinéma, au moment où il est en train de tourner Accatone, La Rabbia et L’Évangile selon saint Matthieu. Personnel mais collectif, spontané et théâtral, impliquant une diversité d’énonciateurs et de contradicteurs qui s’expriment en leur nom, ce courrier des lecteurs est comme le laboratoire de l’œuvre en train de se faire : le lieu d’une pensée politique qui court-circuite le système de la parole autorisée et expérimente le langage comme une matière collective.
Né en 1922 à Bologne, Pier Paolo Pasolini était poète («Les cendres de Gramsci», «Poésie en forme de rose», «Je suis vivant»), romancier («Pétrole», «Les Ragazzis»), cinéaste («Théorème», «L’Evangile selon saint Matthieu»), essayiste («Écrits corsaires», «Lettres luthériennes») et traducteur. Il est mort à Ostie en 1975.
"Les éditions Corti publient dans un passionnant livre, Dialogues en public, les questions que des lecteurs, généralement jeunes, souvent pauvres, de toute l’Italie, posèrent à l’écrivain et cinéaste dans l’hebdomadaire communiste Vie Nuove, entre 1960 et 1965, et ce qu’il leur répondit. Je rêve d’un journal où l’on pourrait lire ce type d’échanges, entre des gens du peuple et un artiste, un intellectuel d’une telle force." Philippe Lançon, Charlie Hebdo
"De fait, les auteurs des lettres adressées à Pasolini sont très divers : bourgeois, ouvriers, hommes, femmes, jeunes, vieux, de gauche, de droite, un tel émettant une critique, un autre demandant des conseils, une autre attaquant Pasolini sur la religion, un autre encore l’invitant à s’exprimer sur Brigitte Bardot ou sur D’Annunzio ou sur le décès de son frère, etc. Même si le choix des textes reproduits dans Dialogues en public est centré sur des points précis (le cinéma, la littérature, la politique), l’ensemble n’en compose pas moins une diversité hétéroclite de thèmes, de sujets, de points de vue, configurant donc une variation mentale ou un patchwork discursif qui agence une pluralité à l’intérieur de laquelle Pasolini circule sans réellement la dominer ou l’orienter, contrairement à ce que pourrait faire un auteur seul aux commandes d’un essai (« Je ne veux pas être une autorité »). ».Jean-Philippe Cazier, Diacritik
"Pasolini ne veut pas jouer au maître, et les échanges ressemblent moins à des leçons qu'à des dialogues, où le tutoiement est de mise. Ceux qui lui écrivent parlent de leur vie, ce qui le pousse à lui-même se livrer et se raconter très simplement." Marco Uzal, Cahiers du cinéma
"Le critique, l'activiste, le cinéaste, font dialoguer chacun avec les croyances populaires issues des pratiques religieuses imposées, soit le fond culturel des italiens, les formes multiples d'art de Pasolini forçant ces mondes supposés étanches à reconnaître leurs influences réciproques et leurs apports mutuels, et à briser l'atomisation de la société." René Noël, Sitaudis
"L’ouvrage est donc à la fois collectif et personnel, tel journal de bord fait d’énonciations kaléidoscopiques. Un jeu de questions et de réponses créer le volume d’une œuvre en train de se faire dont intelligence, parcellaire au départ, est mise en commun. Finalement Dialogue en public sabote la forme du roman pachydermique pour élaborer un dispositif littéraire qui court-circuite le système de la parole autorisée vers le montage d’une pensée politique vivante, intempestive et dignement tissée par le quotidien et son infra-écriture."" Julien, librairie Page et Plume
"Parution passionnante aux editions Corti, pleine de fulgurances et de brûlantes considérations : l’anthologie des échanges épistolaires de Pier Paolo Pasolini avec des lecteurs de la revue Vie Nuove dans les années 60. Lecture impérative, comme toujours avec Pasolini." Librairie Cultures obliques, Marseille"