Jean-Baptiste CHARCOT | Domaine Français (2006)
Pour quelles raisons lire aujourd’hui, et prendre plaisir à lire, ce «récit anecdotique» dont Charcot lui-même nous dit malicieusement dans l’Avant-propos qu’il n’a «aucune prétention littéraire» ? Cent ans après son édition, et soixante-dix ans après la mort de son célèbre auteur, Le Français au Pôle Sud de Jean-Baptiste Charcot pourrait bien être l’un de nos plus grands livres d’aventure. Le «Journal de l’expédition antarctique française, 1903-1905» offre un concentré d’une rare densité de l’état scientifique de l’époque fin de siècle, et un des plus étonnants et des plus romanesques récits de voyage de l’ère symboliste.
L’ouvrage est bâti en trois parties. Le «Journal», pure œuvre littéraire, en est le centre. Il est ourlé d’une solide Introduction qui donne tous les éléments historiques du contexte de l’expédition, puis de longues annexes. Quand Charcot, dans l’avant-propos, déclare que l’expédition est «essentiellement scientifique», cela signifie qu’il y a autre chose derrière ce prétexte, et que l’essentiel est décidément ailleurs.
Cartographier l’inconnu est l’objectif du Français : la science se nourrit du mystère, comme dans les romans de Jules Verne. Mais, ici, l’auteur vit son voyage dans le champ de la réalité. Il va à la source réelle de l’inconnu. Cette source, c’est le continent blanc, les «Terra Incognita Australis» dont parle Buffon, «cette partie du globe égale au sixième des continents reconnus» dont le Capitaine Nemo devint le maître un 21 mars 1868.
Charcot entreprend la première expédition française dans les mers antarctiques, retrouvant en cela un esprit de découverte délaissé depuis les expéditions australes de Dumont d’Urville en 1838-1840. Il s’agira du premier hivernage français dans les glaces australes, cinq ans seulement après le Belge Gerlache de Gomery, auteur du premier hivernage jamais réalisé.
Le récit de voyage conte tout autant qu’une expédition «essentiellement scientifique» une aventure intérieure et métaphysique.
Jean-Baptiste est né le 15 juillet 1867 à Neuilly-sur-Seine. Son père, Jean-Martin Charcot, le célèbre aliéniste, est professeur à la Salpêtrière – «l’hôpital des fous». La jeunesse de Jean-Baptiste est agréable, entre la société brillante qui se presse dans la propriété familiale et la vie sportive intense d’un jeune gentleman – aviron, rugby, yachting. Enfant têtu, il souhaitait être marin et découvrir le monde, à sa manière. Le père souhaite que son fils soit médecin ; Charcot fils le sera donc. Mais à la mort du père en 1893, héritant une immense fortune, ses rêves peuvent se réaliser. Le 16 septembre 1936, Charcot à bord du Pourquoi pas rencontrera son destin au nord ouest de l’Islande.