Cole SWENSEN | Série américaine (2021)
Traduit par Maïtreyi & Nicolas Pesquès
Cole Swensen est reconnaissable à plus d’un titre, elle s’est en effet forgé un style que l’on retrouve dans ce nouveau livre, le quatrième publié chez Corti, affiné en ses divers aspects.
Elle compose des livres et non des recueils. Ils traitent un domaine, un thème ou une période de notre histoire ; ils le questionnent en poésie. Ce livre-ci envisage la pratique de la marche à pied, plus précisément le rapport qu’entretiennent la marche et l’écriture.
Le livre convoque un ensemble d’écrivains promeneurs. Tous impénitents marcheurs, ils ne forment pas pour autant un groupe, plutôt une escouade d’éclaireurs, souvent solitaires ; car il s’agit d’abord de montrer qu’écrire procède d’une stricte ambulation personnelle qui peut se résumer à : dis-moi comment tu marches, je te dirai ce que tu écris. La richesse du livre apparaît ainsi, au gré des promeneurs accompagnés ; l’écriture de Swensen va en éprouver les façons et absorber chaque fois quelque chose de la spécificité de l’élu pérégrinant.
Si c’est un livre de marches, c’est donc aussi un livre de paysages ; mais fabriqués par l’écriture qui rappelle chaque promeneur dans ses motifs. Ainsi visite-t-on – et nous revoyons aussi – les campagnes de George Sand, les longues solitudes de Thoreau près de son étang, les inquiétudes citadines de Virginia Woolf, l’allégresse et le constant qui-vive de Robert Walser, les longues courses, aux écarts enchevêtrés de G.W. Sebald.
Ainsi, pas à pas, sommes-nous emmenés dans le sillage de quelques grands arpenteurs, sous la houlette de leurs manies pédestres, à la découverte d’une écriture nourrie d’exemples et abreuvée de paysages. Vers, phrases et monde ainsi multipliés par cet exercice basique et si changeant qui toujours enracine le globe-trotter « dans son lieu et sa formule ».
" (...) Que l’on ait ou non lu Geoffrey Chaucer ou Robert Walser, ces Poèmes à pied, aussi simples que raffinés, entraînent irrésistiblement vers des terres inconnues. On se surprend à se promettre d’aller un jour les visiter, de se jeter à l’intérieur d’autres vers, pourquoi pas une balade avec et dans Gérard de Nerval, « et maintenant en une seule promenade nocturne à travers Paris nous tombons sur // Apollinaire déployé en un mince sédiment sur l’Europe entière. (...) »
Charlotte Fauve, Télérama, mis en ligne le 5 juillet 2021.
Ce On Walking On (2017) conjugue ainsi immédiatement la dynamique du gérondif, ce « verbe à cheval», comme Mandelstam le définissait, à celle d'un mouvement mis en branle par lui-même: le titre français Poèmes à pied respecte ce double mouvement, d'un déplacement comme effet et comme acte. C'est la réversible modulation de les écrire qui en fait l'élan vrai.
Extrait de l'article d'Emmanuel Laugier, Matricule des Anges, ci-contre.