José Corti | Domaine français, 1992
Que le lecteur ne cherche pas ici une suite aux Souvenirs désordonnés.
Lorsqu’il entreprit la rédaction, au début de 1984, José Corti ne cherchait aucunement à prêter son concours à la triste mode du commerce des retours : son épouse venait de mourir, il désirait et attendait sereinement de la rejoindre. Avant de disparaître, il caressa l’espoir d’éclairer sa peinture en constituant un dyptique. Si, dans les Souvenirs, il s’agissait avant tout de la mémoire d’un demi-siècle d’édition, il pouvait maintenant laisser parler aussi l’homme José Corti, donner ainsi à l’ensemble plus de gravité, de profondeur et, comme on le verra, un aspect plus personnel.
• Histoire de ce manuscrit
(...) Sachant que sa graphie – il avait 90 ans – était hiéroglyphique, il m’avait soumis par deux fois de courts extraits en me demandant s’ils me sembleint lisibles (...) et en me précisant l’endroit où, sa journée achevée, il rangeait son dossier.
Longtemps je n’eus pas le cœur de l’ouvrir, soit proximité de sa dispartion, soit peur d’être déçu ou d’être incapable de le déchiffrer. Ce n’est que durant l’été 1991 que je décidai de francir le pas et parvins à lire puis à transcrire la partie du manuscrit qu’il devait considérer comme achevée, même si – d’une graphie plus large, plus assurée, – il avait inscrit, comme en frontispice : Pro-vi-soi-re-ment bon texte.
Bertrand Fillaudeau
On a beaucoup parlé des vertus de l’éditeur Corti.
De son refus des compromis. De sa marginalité un rien aristocratique. On l’a dépeint en M. de Rancé fuyant (...) les bassesses et les intrigues de son époque. On a tous été impressionné par l’homme qui méprisait les prix littéraires, qui refusait de voir ses livres, parce qu’ils se méritent, passer en collection de poche, qui ignorait la télévision (...).
Mais il aura fallu cette confession posthume pour que l’attitude de José Corti prenne véritablement tout son poids de dignité et de souffrance: c’est à ce garçon, fauché dans la beauté de l’espérance et du talent, que l’éditeur a voué son travail d’orfèvre. Ces livres sur lesquels il a gravé sa rose emblématique et dont il faisait lui-même les paquets d’expédition, il les fabriquait en vérité sous l’aile d’un ange et les déposait dans sa vitrine du Luxembourg comme on dispose des fleurs sur la tombe de ceux qu’on a (...) aimés.
À sa femme aussi, José Corti rend un vibrant hommage (...). Enfin, il remercie le ciel, avant de mourir de lui avoir envoyé un fils spirituel : il s’agit de Bertrand Fillaudeau, qui a réussi depuis la gageure de succéder à José Corti et qui préface ce texte avec une très émouvante pudeur. La rose des vents n’est donc pas morte.
Jérôme Garcin, Provençal Dimanche, 26 janvier 1992.
Provisoirement définitif mêle dans un charmant désordre des souvenirs littéraires, des considérations sur la librairie, de bouleversantes évocations familiales. C’est écrit comme (presque) plus personne n’écrit.
On a l’impression de visiter un musée secret, d’écouter une confidence, de tendre l’oreille à un temps révolu.
François Nourrissier, Le Figaro Magazine, février 1992.