Éditions Corti

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Sartor resartus

Thomas CARLYLE | Domaine Romantique (2008)
Traduit par Maxime Berrée

“Je ne connais pas de livre plus hardi et volcanique, plus pétri de désespoir, que le Sartor Resartus.”

J.L. BORGES

Carlyle est un écrivain quelque peu effrayant. Réactionnaire et violente, son œuvre regorge d’idées et de sentences à faire frémir humanistes et progressistes : pour lui, la démocratie est « le chaos doté d’urnes électorales », le monde doit être dirigé par des héros dont il affirme la supériorité morale ; il se prononce contre l’abolition de l’esclavage ; quant à la première Exposition universelle, elle lui fait l’effet d’un « grand bazar industriel ». Ne nous donnons pas la peine d’aller plus loin, il suffit de compléter par cette description lapidaire que fit de lui Spencer dans son Autobiographie : « Il sécrétait chaque jour une certaine quantité d’imprécations et il lui fallait trouver quelque chose ou quelqu’un sur qui les déverser. » Voilà le portrait peu flatteur qu’on pourrait rapidement dresser de cet esprit aussi contrarié qu’un Céline.

En France, Carlyle est presque complètement ignoré. Sans doute son aversion pour notre pays, qu’il jugeait frivole et superficiel, et auquel il préférait la rigoureuse et sérieuse Allemagne, n’y est-elle pas pour rien. Choisir entre deux nations qui se considèrent comme des ennemis héréditaires, c’est nécessairement s’en mettre une à dos. Il aggrava d’ailleurs son cas en applaudissant des deux mains la victoire allemande en 1870. Malgré cela, il était encore lu au début du XXe siècle : certains de ses ouvrages passèrent, par exemple, entre les mains de Proust ou Claudel.

Il y a quelque chose d’énigmatique dans l’existence même d’un tel livre. Ouvrage improbable pour l’époque, il l’est encore aujourd’hui à maints égards, malgré l’habitude que nous avons des expérimentations littéraires. Tenant à la fois de l’essai philosophique, du roman d’apprentissage, ou encore de la satire, le Sartor Resartus résiste à toutes les classifications et se dresse avec un charme capiteux en singularité pure dans l’horizon littéraire.

Emerson avait pourtant parfaitement compris la situation, lui qui écrivait dans son journal : « Si le génie était une chose commune, nous pourrions nous passer de Carlyle ; mais en l’état actuel de la population, nous ne pouvons l’ignorer ». Le temps est peut-être venu de laisser de côté tout le fatras d’idées et d’opinions attachées au nom de Carlyle : le Sartor Resartus n’a plus besoin de lui, il n’a besoin que de lecteurs.