Enfant grec du Caire, né le 9 août 1910, Michel Fardoulis dès l’âge de 14 ans écrit et, très vite, publie dans les revues littéraires grecques d’Egypte (entre autres celle de Cavafis, Alexandrini Techni).
En 1929, il arrive à Paris où il traverse des années de grande misère ; il cesse alors d’écrire pour se consacrer à la politique et adhère au P.C. (sous le nom de Lagrange) ; il en sera exclu en 1936 mais restera toujours passionnément fidèle à ses premiers engagements.
Salué par de grands contemporains, Artaud, Bataille, Éluard, Henein, Jacob ou Leiris, de 1937 jusqu’à la fin de sa vie, il ne cessera d’écrire et, plus que jamais, à la prison de la Santé où durant l’occupation (1942/1943), il sera incarcéré pendant un an.
En 1945, son amitié, sa rencontre avec Jean Marquet entraîne la fondation de “Troisième Convoi” (1945-1951).
Sa vie s’est partagée entre Paris, sa maison du Vaucluse et, à partir de 1972, chaque année un voyage en Grèce, souvent à Cythère d’où la famille Fardoulis est originaire. Il meurt à Paris le 26 avril 1994.
[ ... ] On n’ignore pas la lumière dans laquelle baigne l’univers de Fardoulis-Lagrange, singulièrement intérieure en ce sens que tout, grâce à elle, s’éclaire du dedans ou, mieux encore, d’en haut, quitte à laisser s’estomper ce qui fait immédiatement face, comme dans ces bas-reliefs dont une étincelle de lune aveugle les contours mais accuse la fuite des plans et leur multiplicité. À ces dosages de torches s’ajoutent ceux d’une perspective quasi anamorphotique qui impriment aux textes de Fardoulis-Lagrange leur structure "ralentie". L’effet immédiat est, on le sait, déroutant mais il ne tient qu’à nous de réunir ces aspects morcelés, si nous en sommes désireux ou capables. Le problème est assez voisin de celui qui intrigue devant certaines peintures modernes, dont on n’est que trop enclin à décider, par indifférence ou paresse, qu’elles “ne veulent rien dire”.
La contestation est une condition préalable que nous impose Fardoulis-Lagrange dès l’abord. Elle équivaut à un ultimatum et le lecteur, ainsi sommé, s’interroge. L’accueil, pense-t-il, est plus amène ailleurs. Quel livre n’offre pas, mêlées aux premières lignes, ses petites gratifications qui font terriblement défaut ici ? Pourtant chez Fardoulis-Lagrange l’opacité ne semble pas essentielle, ni même nécessaire. On peut s’orienter, avancer à tâtons, suivre le jalonnement sinueux des lucioles jusqu’à cette lueur qui ne cesse pas de fasciner au fond. Découverte d’une perception totalement décantée de la causalité quotidienne sans que, pour autant, la réalité quotidienne ait, dans la moindre mesure, disparu. Affranchie, au contraire, du mécanisme causal, elle n’en est que plus entièrement disponible pour la méditation ontologique qui va désormais la scander. […]
Robert Lebel, “Les Lettres Nouvelles”, 25 mars 1959.
La pensée de Michel Fardoulis-Lagrange paraît, au premier regard, poreuse de schisme et de sécession. En réalité, elle ne sépare que ce qui cache en soi une fêlure originelle. Elle réunit ce qui, de façon invisible, est voué à l’unité.
Georges Henein, préface à “Les Caryatides et l’albinos”, Le Terrain vague, avril 1959.
Michel Fardoulis-Lagrange incarne la grande énigme de la publication et de la notoriété. Ce n’est pas un écrivain sans éditeurs, c’est le type même de l’écrivain sans lecteurs. Il a toujours trouvé des éditeurs qui s’enthousiasmaient pour ses écrits, il a réussi à se faire publier par un grand nombre d’éditeurs très variés. Pourtant, je suis persuadé qu’il n’est connu que de mille personnes et encore !
(...) Or, Fardoulis-Lagrange est un écrivain superbe, de la veine de Gracq ou de Mandiargues. Je me perds en conjecture sur sa malecdiction.
Éric Losfeld, extrait de “Endetté comme une mule ou La passion d’éditer”, Belfond, 1979.
Secret : s’il est un écrivain auquel cet adjectif doit s’appliquer, c’est bien Michel Fardoulis-Lagrange. Loin d’être l’expression d’une coquetterie, d’une pose sociale ou psychologique, le secret était le cœur de son œuvre et sans doute de sa vocation. Il le portait aussi, avec une singulière intensité sur son visage et dans son regard.
Patrick Kéchichian, “Le Monde”, 29 avril 1994.
Chez Fardoulis-Lagrange, cette aube toujours d’une osmose, la nécessité de L’Inachèvement d’un projet qui, à chaque ligne, change l’éclairage des mots, en excite les fonds réfringents. Glissement insidieux, jamais gratuits, de l’énoncé narratif à l’hypogramme philosophique : lecture (...) assumée plutôt que consommée ou pratiquée ; conjonctures éclatées plutôt qu’états, occurences ; corps subliminal ou ingérences translucides pour images (?) ; éléments apodictiques d’illustration et d’artifice pour – ? Bientôt, les équivalences se perdent. Un paradigme rayonne, absent : aucune fin à ce qui, jamais, n’est que son ombre – foyer latent, noyau saturé de ses solutions. Ce qu’il nous faudrait lire, ce que nous devrions dire, s’éloigne vers la matrice que dire a déformée, variations au-delà de l’heure unique et inspirée amorçant le code général.
Occultation qui est la parole même, s’enroule autour de son écho. Celle de Fardoulis-Lagrange est signe antérieurs aux signes, – envergure de l’initial.
Christian Hubin in “Parlant seul”, José Corti, 1993.