Éditions Corti

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Adriana Buenos Aires

Macedonio Fernandez | Ibériques
Traduit par Marianne Millon

Écrit entre les années 1920 et 1930, Adriana Buenos Aires de Macedonio Fernández appartient à un ensemble de deux romans nés à la même période et conçus comme des romans-jumeaux par leur auteur. Les hasards de l’édition voulurent que le second, Musée du Roman de l’Eternelle (Gallimard, La Nouvelle Croix du Sud, 1993, traduit par Jean-Claude Masson) fût publié avant le premier, aussi bien en Argentine qu’en France, inversant l’ordre souhaité par Macedonio Fernández, qui voulait illustrer pour le public ce qu’il appelait Le dernier mauvais roman avec Adriana et Le premier bon roman avec le Musée (qui contient certains extraits d’Adriana, pour mieux égarer le lecteur).

Adriana Buenos Aires se présente tout d’abord comme une suite de variations, voire de clichés, sur le thème de l’amour impossible éprouvé par Eduardo, le narrateur, un homme de quarante-cinq ans, pour Adriana, une jeune fille de dix-neuf ans elle-même éprise d’Adolfo, un jeune homme de vingt-trois ans qui perdra la raison et – pire encore – la mémoire, à la suite d’un coup de feu tiré par une maîtresse éconduite (!). Mais dans une préface se présentant comme une Introduction au Mauvais roman, l’auteur précise qu’il a voulu développer sa théorie selon laquelle la seule véritable tragédie n’est pas celle de l’amour impossible, mais la perte de ce que fut l’amour, l’Oubli. Avec son humour et sa distance caractéristiques vis-à-vis de ce qu’il ne voulait pas se résoudre à appeler son œuvre, Macedonio Fernández explique sereinement qu’écrire un mauvais roman pour de faux est plus difficile que d’écrire un bon pour de vrai. Il va même jusqu’à envisager, sinon prévenir, les remarques acerbes ou non que pourrait faire le lecteur : "Le fat qui a la prétention de croire qu’il est l’homme le plus laid au monde ne mérite pas d’être pardonné. Et ce roman, qui se croit un sommet du genre du mauvais roman, n’est-il pas immodeste ? (…) Il n’y a pas d’homme laid satisfaisant en tous points. Il aurait pu l’être davantage, dira-t-on du genre de ce roman." Et l’auteur de répondre : "Essaie d’en écrire un, lecteur. Et s’il s’avère (bon), et te laisse tout contrarié ?"

Borges lui-même, qui ne cessa d’affirmer sa dette envers celui qu’il considérait comme son maître, est mis à contribution pour douter de la réussite de l’entreprise : "S’il appartient au genre du mauvais roman, comme on me l’a promis, ce ne sera pas le dernier." Au lecteur de répondre à la dernière question posée par l’auteur à la fin du Dernier mauvais roman : "Ai-je réussi à écrire le dernier ?" Formulée sur le double mode du doute et de la provocation, deux constantes chez lui, elle appelle effectivement une réponse lourde de conséquences…



Que ce soit dans ces poèmes où il élabore une poétique inouïe, dans ses textes brefs, véritables pièges à lecteurs, ou dans ses romans, Macedonio Fernández fonde un univers d’une nouveauté radicale. Son idéalisme, qui ne pourrait être seulement qu’un nihilisme, anéantit en même temps le réel et une certaine littérature dite réaliste.

Il a construit parallèlement à sa théorie de l’humour une autre sur le personnage romanesque et l’impossiblité du roman, qu’il a illustrée de façon ironique dans deux livres : Adriana Buenos Aires et Museo de la Novela de la Eterna [quelques extraits de ce dernier sont inclus dans Elena Bellemort].

Jean-Didier Wagneur, Le Nouveauvenu de Buenos Aires, Libération, 30 avril 1992.



Expert en ironie et jeux absurdes, Macedonio Fernández voulut signer deux romans jumeaux (...) avec la même héroïne. Les labyrinthes vertigineux de la création sont ici hantés par un guide diabolique.

Jean-Luc Douin, Télérama, 7 janvier 1996.