Macedonio Fernandez | Ibériques
Traduit par Silvia Baron Supervielle • Préface de Jorge Luis Borgès
La majeure partie des poèmes de Macedonio Fernández (Argentin 1874-1952) rassemblés sous ce titre sont consécutifs à la mort prématurée, en 1920, d’Elena de Orbieta, épouse de Macedonio, lequel ne se remettra jamais vraiment de sa disparition. Ils sont en quelque sorte, ces poèmes l’intime conjuration réitéré d’un homme soudain placé devant une réalité insoutenable. Le chemin qu’il aura le plus assidûment partiqué [pour dénier ce vide] reste celui de la parole poétique, celle qui permet de concilier les contraires, d’affirmer que “Mort est Beauté”, qu’elle est même la “Beauté d’Amour”, et que la puissance de celui-ci finit par imposer sa loi, “car Mort gouverne Vie ; Amour, Mort.”
Lorsque, nouvel Orphée, Macedonio se tourne vers la poésie pour rejoindre Elena, il ne regarde pas où il va mais d’où il vient. Et c’est au langage symboliste de ses débuts qu’il va avoir recours.
Silvia Baron Supervielle, traductrice scrupuleuse de ce volume en édition bilingue, a complété Elena Bellemort par quelques poèmes tirés de Musée du roman de l’éternelle, chef-d’œuvre de Macedonio Fernández, où il donne libre cours à son humour et à son goût du paradoxe, et où il anticipe sur Cortázar. Les deux ouvrages sont contemporains, au moins en partie, mais un monde les sépare.
Dans Le Musée, Elena s’est changée en Eterna. Les poèmes qui lui sont consacrés ne sont plus qu’un chapitre parmi d’autres de ce roman en morceaux que son auteur offre “à qui voudra l’écrire”. Ils sont devenus une pièce d’un puzzle qui les dépasse et dont le dession livre sans doute l’une des clefs du roman latino-américain moderne.
Jacques Fressard, extrait de Une Légende et peut-être un mystère, La Quinzaine littéraire, 1/15 juillet 1990.
À lire Elena Bellemort et Papiers de Nouveauvenu on découvre que Macedonio Fernández, passé le folklore auquel il est toujours tentant de la réduire, est avant tout un immense écrivain. Que ce soit dans ces poèmes où il élabore une poétique inouïe, dans ses textes brefs, véritables pièges à lecteurs, ou dans ses romans, Macedonio Fernández fonde un univers d'une nouveauté radicale. Son idéalisme, qui ne pourrait être seulement qu'un nihilisme, anéantit en même temps le réel et une certaine littérature dite réaliste.
Jean-Luc Douin, Le Nouveauvenu de Buenos Aires, Libération, 30 avril 1992.