Rubén DARIO | Ibériques (2012)
Traduit de l'espagnol par Jean-Luc Lacarrière
Rúben Darío est revenu au Nicaragua, sa terre natale, pour y mourir. Celui qui a parcouru le monde, révolutionné l'écriture en espagnol et fait figure d'idole pour la jeunesse de l'Amérique latine se sait condamner par la maladie ; les excès, liés à la vie agitée qu'il a menée, le condamnent. Il n'atteindra pas les 50 ans. Il meurt le 6 février 1916 à León, dans ce Nicaragua profond où il est né et a grandi, loin des feux des capitales brillantes qu'il connaîtra plus tard.
Darío est l’exemple même d'un écrivain surgi d’un des lieux les plus improbables. Il s'affirme face au Monde avec un désir et une fringale sans exemple. Il agit comme s'il voulait conjurer le sort, et assume son existence comme on relève un défi. Parti de la province de la province, il saura transformer sa marginalité en qualité et parviendra à user d'une énergie débordante tant dans sa propre course que dans la construction de don œuvre. A cette impression de défi que laisse son existence, s’ajoutent la vigueur qui marque l'élaboration de ses textes et l'affirmation d'une originalité porteuse de rénovation pour toute une langue.
En 1888, Dario publie à Valparaíso son livre « Azul » qui le rend vite célèbre dans les milieux artistiques du continent. Darío arrive à détourner la langue espagnole, à lui donner une sonorité nouvelle et des aspects encore inconnus. Il chante le Monde mais en saisit aussi la cruauté et les troubles, il sait dire comme personne la beauté en construction et les rêves qui accompagnent un univers résolument tourné vers l'avenir. La modernité de Darío a consisté à dynamiser une langue alors engourdie, comme repliée sur sa tradition et enfermée dans son passé, et à la mettre au service d'une mentalité qui a su saisir la complexité de l'homme contemporain. Venu du plus profond des terres oubliées de tous, il élabore l'œuvre littéraire en espagnol la plus cosmopolite et la plus ouverte de son époque.
Ses textes et son destin présentent une même fermeté et une intensité comparable.
Philippe Ollé-Laprune