Henry James | collection En lisant en écrivant, 2000
Traduit et préfacé par Sophie Geoffroy-Menoux
Il est curieux que le très célèbre et retentissant essai de Henry James ait attendu plus d’un siècle pour être traduit. C’est une “biographie” extrêmement lucide, exigeante et spirituelle, remplie d’anecdotes. Capitale, elle permet d’éclairer l’œuvre comme la figure de Nathaniel Hawthorne de même qu’elle fait comprendre les motivations de l’auteur, d’origine américaine, quant à son désir d’obtenir la nationalité britannique.
Un grand nombre de citations contribue à rendre le récit de la vie particulièrement vivant et riche. Dans ce foisonnement de témoignages, étonne l’absence de Melville. Étrange absence d’autant que James fit de l’amitié particulière entre maîtres et disciples l’un des thèmes essentiels de sa fiction. S’offre à nous aussi le panorama de l’histoire américaine — avec ses Présidents successifs jusqu’à Lincoln, les événements et problèmes historiques majeurs (guerre de Sécession, guerre du Mexique, esclavage). La place et l’importance du puritanisme, comme du transcendantalisme sont mises en relief à travers les grandes figures d’Emerson ou de Thoreau.
Un important inédit de Nathaniel Hawthorne "À propos de la guerre de Sécession" complète ce livre. Le lecteur prendra ainsi toute la mesure de l’humour et du pacifisme de Hawthorne, position “politiquement incorrect” en pleine guerre civile, au point de déclencher les foudres et la censure de l’éditeur américain.
Mathieu Lindon, “L’Hommage dans le tapis”, Libération, 14 septembre 2000.
Quand James lui consacre son livre, il y a déjà longtemps que Hawthorne est la figure tutélaire de la littérature américaine et peut-être aurait-il aimé lui succéder à cette place. De son vivant, il y échoue radicalement pour deux raisons: parce que le «grand public» se tiendra toujours à distance ; et parce qu'il abandonne lui-même cette ambition américaine en devenant anglais. James a pu en avoir des regrets, jamais des remords. La littérature lui a été sa patrie et son public: il lui suffisait d'y avancer sûr de soi.
Il évoque le « charme indéfinissable, vague, ineffable » de Hawthorne et ajoute quelques phrases qui sont comme le révélateur de ses secrets de fiction et une inhabituelle défense de toute critique littéraire: « En pareil cas, il est vrai, ce manque de précision est un inconvénient ; difficile de montrer du doigt des beautés impalpables; et si d'aventure le lecteur à qui nous avons tenté d'inoculer notre admiration nous informait, après moultes recherches, qu'il ne remarque rien de spécial, nous ne pourrions que lui répondre ceci : en effet, notre objet est subtil. »
Le lecteur d’aujourd’hui n’apprendra pas grand chose sur Nathaniel Hawthorne (1804-1864), mais il pourra toujours goûter telle anecdote, telle analyse d’une œuvre ou découvrir tel extrait de lettre.
Henry James souhaite tout d’abord se justifier d’avoir quitté les États-Unis pour l’Angleterre : l’Amérique a beau être déjà une grande puissance économique, explique-t-il, ce n’est qu’un désert culturel et Hawthorne a eu bien du mérite d’y faire éclore ses chefs-d’œuvre. Le problème tient peut-être à la démocratie qui nivelle la société et la psychologie : il n’y a plus de « types », tout le monde se ressemble et ainsi, selon James, le pittoresque disparaît (par ce mot, il entendait le concret et plus généralement le réalisme). C’est sans doute pourquoi Hawthorne a tant aimé l’allégorie, figure qui n’attire guère son successeur. Cela n’a toutefois pas empêché Hawthorne de dépeindre le mystère de la conscience humaine. James reconnaît aussi que, si Hawthorne a été effectivement attiré par le puritanisme, il n’en a jamais été prisonnier et il a su merveilleusement représenter le mal, chose que l’auteur de Portrait de femme cherchera sans relâche à faire lui aussi dans ses romans. Au total, ce petit livre ne laisse pas d’être assez étrange. Les deux hommes étaient souvent très proches sur l’essentiel et très éloignés sur tant de détails. Hawthorne n’aimait pas l’Europe, tandis que James ne prisait guère la famille et ne supportait pas Melville... Ainsi s’explique sans doute pourquoi il peut se montrer si condescendant à l’occasion et comparer “La Lettre écarlate” à un obscur roman de l’époque.
BCLF, décembre 2000