Nathaniel Hawthorne | Domaine Romantique (1995)
À l’origine, les “Carnets” de Nathaniel Hawthorne n’étaient pas destinés à la publication. Ces textes ne sont donc pas entachés de cette complaisance que l’on trouve dans certains journaux d’écrivains mais au contraire passionnants parce que, à la fois, très inactuels et très modernes.
Hawthorne se révèle, peut-être même davantage que Thoreau, son contemporain et ami, un observateur méticuleux et passionné de la Nature, lorsqu’il contemple, à la manière d’un peintre méditatif, l’écoulement des saisons et des ans. Il en épouse le rythme, soit parce que ses promenades en dépendent, soit parce que, cultivant son jardin, elle conditionne son ordinaire quotidien. Il parvient aussi mieux que quiconque à nous rendre sensible à un rayon de soleil et de lune, à un nuage, à la chute des feuilles comme à la renaissance du printemps.
Parallèlement à cet hymne à la nature, on trouvera aussi au fil des pages comme le laboratoire de ses œuvres romanesques, puisqu’il note avec soin des idées d’histoires, des canevas de romans, des anecdotes, des faits historiques surprenants, des rencontres. Hawthorne entasse les matériaux et exerce son regard en nous livrant des scènes que nous n’oublierons plus : touchantes, telles la maladie de sa mère et les réactions de ses propres enfants ; drôles, tel le dialogue avec un écureuil dans les bois ; tragiques, comme l’histoire bien réelle de l’enfant perdu dans la forêt ; éternelles, comme ses observations sur un lac gelé, un arc-en-ciel, le jeu des rayons de lumière dans les feuilles.
Non seulement, ces “Carnets” ne vieilliront pas, mais ils sont très modernes, car le regard tragique de Hawthorne montre la vanité de la recherche du bonheur, le caractère inexorable des saisons et du temps — sources de tristesse et de joie simultanément —, tout ce qui marque d’intemporabilité la condition humaine. Prenant le temps de regarder et de méditer sur ce qui est au cœur du rapport entre la Nature et l’Homme, la qualité extrême du regard de Hawthorne — à l’égal d’un Beckett, d’un Gracq ou d’un Le Clézio — fait que, par-delà les années, le lecteur confronte ses propres perceptions, ses propres expériences à celles d’un écrivain américain disparu depuis plus d’un siècle, et qui pourtant est notre contemporain.
Tous les thèmes majeurs de Hawthorne, toutes ses hantises sont là, tantôt vagues ébauches, tantôt fins travaux d’orfèvrerie. Vigoureux, ramassés, évitant presque toujours l’ennui de la démonstration. (J.-P. Segonds.)
Extrait de “Hawthorne, fils de Puritains” par Mathieu Lindon, Libération, 16 février 1995.
C’est en tant qu’outil de travail de Hawthorne lui-même que les Carnets sont aujourd’hui le plus passionnant. On peut lire les premières notations annonçant les romans. Il y a toujours une extrême sobriété de Hawthorne qui, comme le remarque Borges dans une de ses Autres inquisitions, part plus de situations que de personnages, inventant après ses héros pour que leurs aventures correspondent aux idées romanesques et morales qui sont pour lui le principal.
Les moments où il note ses idées de contes ou de romans paraissent les seuls où Hawthorne se laisse vraiment aller. Certaines notations relèvent ouvertement de l’auto-analyse psychologique.
Extrait de “Hawthorne ou l’union des contraires” par Christine Jordis, Le Monde, 10 mars 1995.
Dans ces “Carnets publiés” pour la première fois intégralement en français, alternent des phrases elliptiques, tels de brefs messages, des intuitions fulgurantes, des idées à peine énoncées, qui seront le germe de livres à venir, et des fragments plus longs, anecdotes ou sketches, rencontres et portraits, descriptions précises et détaillées de la nature. Ici, la pensée très belle que les humains, au lieu d’être classés entre riches et pauves, devraient l’être suivant les peines qu’ils endurent.
Mais aussi, parmi tant de pages tourmentées, une vision fugitive et lumineuse : des oiseaux à la poitrine blanche, voletant au-dessus de l’eau, “comme s’ils venaient d’être créés”. Ses amis, Thoreau et Emerson, [Melville] sont présentés. De Sophia Peabody, que Hawthrone épousa en 1842, et de ses trois enfants, Una, Julian et Rose, il est peu question. Jamais les Carnets ne versent dans la confession, jamais ils ne privilégient l’analyse de soi.
Extrait de “Dans l’intimité de Nathaniel Hawthorne” par Christophe Mercier, Le Point, 1er avril 1995.
La publication de la première partie de son journal, “Carnets américains” est une révélation. On y vit le quotidien d’un géant de la littérature dans la Nouvelle-Angleterre du siècle dernier. (...)
Et surtout, il décrit son petit garçon : les deux cents pages consacrées à Julian sont parmi les plus belles de la littérature américaine.
Extrait de Hawthorne méconnu : Les Carnets américains par Yves Carlet, La Quinzaine Littéraire, 16/30 avril 1995. Le vrai sujet de ses ébauches est en fin de compte l’indicible.
Le public français ne connaissait [des Carnets] que quelques passages traduits, entre autres, par Valéry Larbaud. Voici – enfin – une traduction intégrale de ce texte foisonnant, où alternent les notes hâtives et les constructions patientes, où le regard se pose tantôt vers le bouillonnement d’une société en pleine gestation, tantôt vers les cycles patients de la nature américaine, où s’ébauche aussi l’œuvre du romancier et du conteur.
La seule dimension qui fasse défaut dans le livre est celle de la politique américaine. On peut s’en étonner, chez un écrivain qui rejoignit la communauté utopique de Brook Farm.
Inversement, la société américaine apparaît ici dans toute sa diversité, à travers une étonnante galerie de portraits : pêcheurs, matelots et loup de mer rencontrés à Boston et Salem, pasteurs, journalistes, étudiants, arracheurs de dents, colporteurs, comédiens, aubergistes entrevus lors de multiples voyages en diligence, fermiers, propiétaires, gentilshommes, campagnards observés à la foire du village.
On trouve aussi, à l’occasion, un regard très lucide sur la condition ouvrière (...) [et] une réflexion inquiète sur les abus liés au droit de propriété. [Certaines] évocations très contenues (jeunes filles dévêtues, jeunes mères découvrant leur sein, prostituées) nous rappellent opportunément que le “puritanisme” de Hawthorne était souvent un victorianisme transposé.
Lacs, rivières, torrents. Comme son contemporain Thoreau, Hawthorne trouve dans les eaux, l’écho de sa paix et de ses grondements intimes. Qu’il soit à Salem, à Concord ou dans les Berkshires, Hawthorne ne cesse de suivre et d’épouser les rythmes saisonniers. C’est peut-être cet Hauwthorne-là qui est le plus moderne et le plus méconnu : celui qui sait trouver dans les mouvements mêmes du ciel, de l’eau, de la neige et des feuilles l’accès à ce qu’Yves Bonnefoy appelle “l’arrière-pays” ; celui qui sait aussi trouver dans les cris des oiseaux, et même les cris des porcs un langage humain ; celui enfin qui ose dire la résistance des choses et la pauvreté des mots, et qui conclut ses plus belles pages par un cri d’impuissance.
Claude Margat, Le Monde Libertaire, 30 novembre/6 décembre 1995.
Voici (...) un livre passionnant, dont la lecture permet de mieux comprendre ce qu’est un écrivain au travail et pourquoi, surtout, une œuvre véritable se construit avec le matériau même de l’existence. La vie est son sujet. Les hommes, surtout, qu’il observe et qu’il peint avec la tendresse toute particulière que l’on retrouve, par exemple, dans les portraits d’un Franz Hals. D’un regard, le rideau s’écarte et l’Amérique sauvage du XIXe siècle s’anime, ses scènes de rue, avec les brocanteurs, paysans et aventuriers. Il y a ce continent aux dimensions immenses, aux paysages sublimes et l’écrivain, ses espoirs, ses incertitudes ; une grande perspective dont les lignes se recoupent, se modifient au rythme de la réflexion.
Il y a chez Hawthorne un mathématicien de la pensée qui suit la pente de son cœur et qui, de ce fait, accède d’emblée à l’universel de la pensée. La vie qui décline au présent les moutures innombrables de scénarios reste donc la première des inspirations. De la viennent l’élan, le souffle qui traversent ces carnets. Des pages pour retrouver la bonne distance, pour voir le monde tel qu’il pourrait être et non tel qu’on nous le fait.