Ghérasim Luca | Domaine français, 1994
Le dernier recueil auquel Ghérasim Luca travailla est composé de deux grands textes publiés originellement en roumain en 1945 : L’Inventeur de l’amour et la Mort morte précédent immédiatement la rédaction du poème Passionnément, qui marquera l’entrée de Ghérasim Luca dans sa cabale phonétique, dans ce rapport physique avec les mots où les sons produisent des idées.
L’Inventeur de l’amour propose dans un long monologue une libération de la condition œdipienne par des voies sacrilèges : dans un monde où "tout doit être réinventé", il nous faut être "de plus en plus dédaigneux, cruels, irréconciliables".
La Mort morte est un face à face avec la mort traumatique, qui se résout dans l’humour et le défi de cinq tentatives de suicide par l’impossible. C’est l’écho du Premier Manifeste non-œdipien, aujourd’hui disparu, qui résonne dans ces deux poèmes, expression surprenante et directement révélatrice d’une pensée révolutionnaire qui poursuit "la constellation spectrale du dépassement humain".
... Plus de bégaiement ici, plus de "cabale phonétique" et de dynamitage de la parole sacrée. L’Inventeur de l’amour, hymne vampirique à la femme aimée absente de la réalité mais fragmentairement présente en mille femmes, à la femme d’autant plus identifiée à la "merveille" bretonienne qu’elle n’existe pas, et La Mort morte, où l’humour noir affleure sans cesse, le fils du discours s’interrompant pour laisser place aux comptes rendus de cinq tentatives de suicide "impossible" (par rétention volontaire du souffle, notamment), sont tous deux des textes limpides, éloquents parfois, coupants toujours, qui suscitent en nous une admiration " hilare " – pour parler comme le grand Giorgio Manganelli.
Maurice Mourier | La Quinzaine littéraire