Antonio di BENEDETTO | Ibériques (2010)
Traduit par Bernard Tissier
« “Être dans le bruit”. Telle est la consigne. [...] “Le monde sera bruit ou ne sera pas" », dénonce le narrateur-sans-nom, le silenciaire du roman. Du bruit, il dit encore qu’il asservit, qu’il corrompt l’être, qu’il est un instrument-de-non-laisser-être. Entre un monde voué au bruit et le protagoniste, le conflit est donc irréductible.
Fuyant les bruits de la ville qui le persécutent jusque dans sa chambre, le narrateur-sans nom entraîne sa mère et son épouse dans la vaine et interminable quête d’un lieu inaccessible au son. Il a beau affirmer qu’à l’inverse de son grotesque et tragique ami Besarión il tient en bride aspirations et imaginations, qu’il s’acquitte des devoirs du foyer et du bureau, peu à peu les nœuds qui le rattachent au quotidien se défont. Le champ de sa conscience tend à se rétrécir jusqu’à ne plus laisser entrer – paradoxalement – que ce dont il a une crainte obsessionnelle, à savoir les bruits. Enfermée dans une perception monomaniaque de la réalité, s’égarant dans des ratiocinations compulsives, sa raison s’altère et chancelle. Cependant, pour malade qu’elle soit, la conscience du narrateur-sans-nom reste une conscience rebelle aux prises – et en prise – avec le monde.
Pour évoquer la longue chute de son triste héros, Benedetto bannit les artifices rhétoriques et les discours explicatifs ; il use d’une langue sobre, ne s’attachant qu’à l’essentiel, et d’une efficacité étonnante. Son écriture laconique, mordante, incisive, et qui ignore superbement les transitions de la narration traditionnelle, est par ailleurs d’une grande souplesse. Car la sobriété du style n’est point chétiveté ; celui-ci est au contraire riche de nuances et se plie à toutes sortes de registres : familier, soutenu, descriptif, réflexif, voire, lyrique.