Jean-Luc PARANT | Domaine Français (2006)
“Ce sont les yeux qui sont venus s’écrire, habitant l’écriture, l’usant comme d’une cavité où se loger, et jusqu’à ce que la chair des mots se confonde en chair voyante.”
Ainsi les mots s’ouvrent et déboulent sur les pages : comme des membres en fuite, ils se précipitent hors d’eux-mêmes, tirant sur leur propre chair jusqu’à dépasser les limites de leurs corps. Et ils roulent, se déroulent intensément ; ils se tendent et s’étendent immensément – se lovant dans l’espace des lignes, se mouvant dans les creux et sur les reliefs des pages jusqu’à leurs extrémités.
C’est une immense traversée jusqu’à la cime des signes et l’horizon des lignes : celle de l’écriture qui réfléchit en miroir l’immense traversée des yeux sur la terre jusqu’à l’horizon.
Et les mots glissent plus avant : ils courent et roulent plus vivement, battant des paupières, s’essoufflant et cillant comme pour reprendre leur souffle. Et ils se jettent, se projettent jusqu’au vertige ; ils sautent et bondissent jusqu’à perdre pied – enjambant les pages et se déployant au-delà. Ainsi lancés et élancés, ils volent, ailés, pris de vitesse et de légèreté.
C’est une infinie volée sur les pages : celle de l’écriture qui se munit d’ailes pour refléter l’infinie volée des yeux dans les cieux jusqu’au feu du soleil.
Ainsi, les mots marchent jusqu’à courir, courent jusqu’à voler, pris d’ivresse, ivres d’espace et de mobilité.
Or ils restent toujours perchés sur les lignes, nichés et blottis dans leurs creux : toujours suspendus et immobiles – et pourtant si infiniment mobiles : battant de l’aile infiniment comme pour rouler de la terre au soleil. Toujours sans mouvement au cœur des pages mais basculant aussi de vertige, s’étoilant et étoilant leur chair à l’infini. Tout à la fois immobiles, comme en repos dans leur nid, et mobiles jusqu’à perte de vue ; tout à l’image des yeux, si étroitement abrités dans les orbites et pourtant si immensément projetés jusque dans le soleil.
Noémie Parant