Éditions Corti

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L’Abbaye du cauchemar

Thomas Love Peacock | Domaine Romantique (1993)
Traduit de l’anglais par J. J. Mayoux
Préface de Didier Girard

Au moment où le Romantisme, en ce début du XIXe siècle, semble atteindre une manière de consécration, à travers l’Europe tout entière, un écrivain anglais, qui n’est dépourvu ni d’esprit ni d’humour, vient tout à coup en révéler les excès : son nom ? Thomas Love Peacock.

Ce que Peacock vomit dans le Romantisme triomphant c’est la facilité des hommes à se laisser appeler par le “lugubre”, le “mystère” et tout ce qui berne grossièrement la conscience. Pour lui le Romantisme assure à ses adeptes les moyens les plus grossiers de mettre leur pensée en sommeil. Rien ne provoque autant de mépris chez lui que “l’anatomie morbide de l’atrabile”, “le débordement des passions incontrôlées, le vacarme des états d’âme déchaînés et le bourbier des sentiments factices”, auxquels ont peut ajouter encore : la superstition, l’ignorance, l’amoralité opportuniste, le goût du spectaculaire.

En plein enthousiasme pour le Romantisme, Peacock prend donc du recul, un recul édifiant, pour saisir toute la portée et les limites de cette nouvelle vague : ses romans prennent la forme d’une “comedy of speech” (comédie des échanges), genre dans lequel il fut le premier à briller et dont on peut lui accorder la paternité. Dans le cas de L’Abbaye du cauchemar, Peacock met en scène le deuil du Romantisme, mais plutôt que d’en faire une satire, il prend assez de distance pour traiter un thème autrement critique — celui des faiblesses de la pensée humaine — en usant précisément de la forme romantique dont la puissance d’évocation et de subversion ne lui échappait pas. Autour de la figure d’un nommé Scythrop, dont les traits ne sont pas sans évoquer le poète Shelley, il brosse une galerie de personnages plus singuliers les uns que les autres, authentique et mordante parodie de poètes romantiques parmi les plus célèbres de son temps. Par petites touches qui sont autant de traits d’esprits, de remarques fines, de répliques piquantes et pleines d’humour, notées avec un “négligé et une grâce remarquables”, Peacock affirme à travers L’Abbaye du cauchemar sa parenté avec Daumier, mais un Daumier qui hésiterait entre les partis d’Euripide et d’Aristophane.

Après avoir écrit la plupart des livres que nous lui connaissons aujourd’hui, Peacock devint en 1836 un haut-fonctionnaire efficace de l’Indian Company, en tant qu’inspecteur des transports. Sous d’autres latitudes, sous d’autres horizons, il ne sentit pas le besoin