Éditions Corti

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Atatao

Caroline Sagot Duvauroux | Domaine français (2003)

Le deuxième recueil de Caroline Sagot Duvauroux est déroutant, intransigeant mais irradié de la beauté des oracles. Une écriture qui relève d'une forme aventureuse de la poésie, celle des présences déboîtées, du corps à corps avec l'obtuse réalité mais aussi de ces intuitions à l'état brut qui ouvrent de nouveaux horizons. Une façon très organique de se frayer un chemin dans la forêt des mots. Une sorte d'étonnement primitif qui – entre hébétude et vertige – théâtralise déchirure et ressac jusqu'à l'assomption d'une forme comme hébétée de violence. Car tout, ici, est perçu, ressenti, évalué au prisme d'une douleur très personnelle déroutant ses échos au fil d'une voyage total.

Un voyage qui est épreuve. On avance dans des paysages qui se modèlent sur des émotions pures. On voyage dans le temps ouvert, suspendu. Ça vogue et ça vire, ça tangue et ça roule dans un réel transfiguré par le jeu des ellipses ou des hiatus entre regard et objet, présence et absence, attente et désir.

C'est qu'il faut traverser la mer pour accomplir sa vie. Comme Io, la vierge dédiée au taureau, celle à qui l'amour de Zeus coûtera folie et malediction. Ou comme Gonzalo, l'amant perdu. Autant d'histoires de métamorphoses et d'exil qui, comme les anneaux d'une même chaîne, relient tous les destins de toutes celles qui, folles d'amour, se virent trahies. (...)

Croisant "les grands champs du massacre ordinaire" – les mains, les langues qu'on coupe, les bêtes qu'on traque, les filles qu'on laisse au bord d'aimer, tout ce dont témoignait déjà, à sa façon Hourvari dans la lette –, Atatao nous fait rôder aux abords des forêts shakespeariennes, écouter "l'infini mensonge qui est voix multiple du mythe", partager la violence et le mystérieux précipité de douleur et d'évidence éviscérée qu'est l'amour quand il se vit dans le tant pis et le trop tard (...).

La force et l'inouï de l'écriture de Caroline Sagot Duvauroux tiennent à la forme d'intimité que sa langue instaure avec un univers où "l'ombre est l'ange de la chose", où l'attente a parfois des allures de gloire, où la tendresse comme la plaie relève d'une forme de participation primitive au monde.

(...)

Une écriture dont la tension met en lumière les réalités inconnues dont nous sommes porteurs autant qu'elle dit la ruine du possible dans l'impossible. D'où ces mots toujours en passe de s'égarer et cette étrange sensation de déséquilibre toujours rattrapé in extremis. (...) "Qu'est-ce qui fait l'incompréhensible dans la poésie ? Sa liberté ? L'étrange pardon de ce qu'on ignore attendre ? Le pardon de vivre ? L'inutilité urgente, urgente de voyage ? L'opacité du corps vivant du poète devant le poème ?" Qu'importe quand elle se fait arme et profanation dans l'épreuve de l'étranger et l'audace du dire.

Éperdument, par Richard Blin • Le Matricule des Anges,
n° 49, janvier 2004.



Caroline Sagot-Duvauroux nous fait don, avec Atatao (Corti 2003), d’un poème qui renvoie la critique à sa propre insuffisance, en raison de l’écart irréductible marqué entre le parler du poème et la parole du poème. À propos de ce texte, en guise de commentaire de lecture, la question muette posée à l’espace littéraire...

Est-il possible de parler de littérature, sachant que la critique pèche tant par insuffisance à dire son admiration que par impuissance à taire son euphorie, sachant encore que le texte qui s’objective à la lecture, se creuse de ce qu’il lui soustrait : sa justification que nul art poétique, nulle intelligence, nulle intuition ne saurait saisir absolument ?

L’irréductibilité d’Atatao, qui marque une dénégation à l’effort de connaissance, tient au fait que ce texte déborde sa réception lorsqu’il se montre, justement, par la limite où il s’abolit, c’est-à-dire lorsqu’il infléchit son intentionnalité, stratégie d’auteur, par sa seule disponibilité à la littérature, sa seule non-compromission. Cette affirmation, posée comme appel, non comme savoir, signifie de façon assez convaincante l’impropriété de la critique à répondre aux besoins de ce même savoir, critique dont la motivation implicite, ressort d’appropriation, contredit voire offense la gratuité, la beauté du surgissement littéraire.


Philippe Rahmy • Remue.net