Silvia Baron Supervielle | Domaine Français (1995)
Seul sur une longue étendue de sable entre mer et ciel, un jeune garçon, qui n’a jamais été vu par quelqu’un et qui ne connaît sa physionomie que par les profils de son ombre, s’élance, bondit continuellement dans l’espace, comme pour tenter de franchir un obstacle invisible. Ainsi dessine-t-il dans l’air des figures qui cherchent à s’élever chaque fois plus haut : il danse, pour répondre à l’élan qui l’anime et qu’il ne sait pas exprimer autrement.
Seule aussi, dans une petite localité qui pourrait être une île et qui a été désertée par les enfants, une femme suit les mouvements du danseur, lequel, à la manière d’une apparition, est survenu un jour sur les vitres de sa fenêtre et, depuis, y revient comme le soleil.
Entre-temps, laissant derrière lui la plage, le jeune garçon traverse une forêt. Là, en marchant, il ressent une présence qui l’accompagne. Peu à peu, cette présence deviendra une image qui lui ressemble, presque tangible, et qu’il rejoindra de l’autre côté des arbres sur l’étendue du début.
L’histoire réside principalement dans son rythme et sa trame. Graduellement, toutefois, sans se le proposer, elle met en lumière la ressemblance entre l’écriture et la danse, le passé et le présent, le rêve et la réalité, le miroir et l’amour, la lecture et la contemplation.
Figure du voyage et de l'écriture, de la solitude, mais d'une solitude sereine qui cherche son cheminement dans l'univers, qui pose ses repères, qui jalonne la carte du monde, l'enfant devient, pour reprendre un beau mot de Deleuze à propos de Foucault, un cartographe : le cartographe d'un monde de la pure écriture, sans noms, sans identités, un monde de gestes, de sens, d'orientation déterminées mais inqualifiées, d'élans, de mouvements. (...)
Peu de livres donnent, avac autant de force, de simplicité et d'assurance, forme à l'impalpable matière de la rêverie.
René de Ceccatty, Page des libraires, N°36, sept-oct 1995.