Georg Christoph Lichtenberg | Domaine romantique (2012)
Traduit de l’allemand par Charles Leblanc | Troisième édition revue et augmentée
Le Miroir de l’âme est un florilège réunissant près de 2100 pensées extraites des cahiers d’aphorismes de Lichtenberg et forme ainsi la plus importante anthologie critique en langue française jamais réalisée sur ce “drôle de philosophe”.
Une vaste introduction met en perspective la pensée de l’auteur et un important apparat critique éclaire le texte. Ce florilège est commodément utilisable grâce à son index thématique et à sa chronologie.
Je vous laisse ce petit livre pour qu’il soit un miroir plutôt qu’une lorgnette ; pour que vous vous y regardiez, et non pour que vous observiez autrui.
Né en 1742, passa, depuis l’âge de 21 ans, toute sa vie à l’université de Göttingen, d’abord comme étudiant, puis comme professeur de sciences mathématiques et physiques, chargé plus spécialement de la physique expérimentale.
Il fit deux voyages en Angleterre qui l’influencèrent durablement. Il mourut en 1799. Esprit éclairé, novateur dans le domaine de l’électricité, Lichtenberg ne doit pas sa renommée posthume aux “figures” qui, en physique, portent son nom, mais à ses carnets intimes, dans lesquels il jetait, pêle-mêle, ses idées et ses observations sans intention de les publier jamais : “Éveiller la méfiance envers les oracles : tel est mon but”.
Ce bossu magnifique, dont le corps était ainsi conformé que même un piètre artiste, dans la noirceur, l’aurait mieux dessiné, vit si clairement dans son âme que l’on peut se servir de ses maximes comme d’autant de lanternes magiques pour mieux lire en soi-même.
Esprit anticlérical, il croyait que l’homme recherche la liberté là où elle le rendrait malheureux et qu’il la répudie là où elle ferait sa félicité, en adhérant aveuglément aux opinions d’autrui. Pour lui, le despotisme religieux et de système était le plus effroyable de tous.
Universitaire ironisant contre l’université — “aujourd’hui, disait-il, on cherche partout à répandre le savoir, qui sait si dans quelques siècles, il n’y aura pas des universités pour rétablir l’ancienne ignorance ?”, il savait que l’académie réduit l’intellect à écrire des livres sur d’autres livres. D’un collègue, il nota : “Il était encore pendu à l’université du lieu comme un lustre magnifique qui, cependant, n’aurait plus donné de lumière depuis vingt ans”. Mais avant tout, Lichtenberg, admiré de Goethe, de Kant, de Kierkegaard, de Nietzsche, de Tolstoï, fut un humaniste, l’un de ces hommes qui savent qu’une pièce de trois sous vaut et vaudra toujours mieux qu’une larme.
Présentation de la troisième édition, par Charles Le Blanc
La vie humaine ne connaît jamais qu’une édition. C’est l’avantage éternel que les livres ont sur elle. Ils peuvent traverser les époques, s’amender, se bonifier, revenir sur leurs défauts, masquer habilement leurs imperfections. Ils peuvent poursuivre des vies tranquilles dans les bibliothèques où ils peuvent vieillir en paix n’ayant plus guère d’ennemis irréductibles si ce n’est les autodafés, qui ne sont plus guère à la mode de nos jours, les vers et par-dessus tout l’indifférence qui reste finalement l’ultime ennemi du livre.
C’est du lecteur qu’un livre tire sa force. C’est par des générations de lecteurs qu’un livre peut être davantage qu’une existence d’homme. Ainsi en est-il du livre-brouillard de Lichtenberg dont les pensées demeurent actuelles malgré le passage de générations livrées aux vers. Nous ne sommes pas encore parvenus à faire le compte exact de nos faiblesses, ni à connaître la balance précise de nos ridicules : ce livre sert à en dresser le bilan.
L’œuvre de Lichtenberg, depuis sa première parution en 1800, est devenue classique. Elle prend le lecteur à témoin, elle se construit autour de lui, l’interpelle, le tutoie, mais de ce tutoiement qui est une forme supérieure de respect, lorsque les connivences, la complicité et la sympathie se sont fait jour entre deux intelligences, un jour qui apparaît souvent par la lecture.