Éditions Corti

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Petit traité de désinvolture | 

Denis Grozdanovitch | Domaine français, 2002

De temps en temps, ils pètent les plombs chez Corti. (...) Ils se mettent alors à publier les excellents pamphlets de Georges Picard : DE LA CONNERIE ou TOUT M’ÉNERNE. Mais cela ne suffit pas à les calmer, d'où ce petit traité (..). Fureteur du vide, observateur du rien, scrutateur des détails, Denis Grozdanovitch (...) loin de s'abriter ou de s'émerveiller devant le minuscule, se contente d'en rire métaphysiquement. Les "chauve-souris de cinémathèque" font son miel, comme les joueurs d'échecs de la place des Ternes et les lanceurs de cerf-volant. Tous ceux qui fuient la société, le travail et la réalité sont ses frères. Les champs de courses, les terrains de pétanque, les pêcheurs à la ligne lui tiennent chaud au cœur. Mine de rien, la désinvolture (comme la paresse chère à Cossery, la misanthropie de Léautaud ou l'oisiveté de Stevenson) est l'ultime forme de révolte d'un parisien du XXIe siècle. C'est une élégance bâclée et l'orgueil des faibles. Denis Grozdanovitch, dans un style étincelant, nous parle de l'humanité. Dans ce monde si pressé de s'autodétruire, la désinvolture est notre dernière chance. Voilà.

Frédéric Beigbeder, La désinvolture est une utopie, Voici, 21/27 octobre 2002.



(...) un inconnu au nom imprononçable nous tombe du ciel avec ce qui restera sans doute comme le livre le plus délicieux de cet automne 2002. Le Petit traité de désinvolture (de Denis Grozdanovitch) est en train de remporter – à juste titre – la palme du meilleur bouche-à-oreille. (...) Sur sa mobylette ou à la Cinémathèque, dans les clubs d'échecs ou dans les salles de sport, les salons new-yorkais ou les rues parisiennes, cet incurable épicurien regarde passer la vie avec un regard amusé et acéré, chaleureux et impertinent. Qu'il se penche sur les papidurologues – spécialistes de l'avion en papier – ou sur les banalistes, ces gens qui se donnent rendez-vous à des arrêts d'autobus pour ne rien se dire, qu'il nous parle de son chat Perdita ou de sa grand-mère morte, une marionnette à ses côtés, qu'il exhume la mémoire d'un poète inconnu – Léon Deubel – ou rende hommage à Paul Léautaud, qu'il observe les grêlons tomber dans sa campagne aveyronnaise ou les oiseaux chanter dans les allées d'un cimetière, Grozdanovitch, à force de charme et d'érudition, finirait par nous faire oublier – ou relativiser – toutes les horreurs du monde. Tortue méditative au pays des lièvres apeurés. Caravage du XXIe siècle, mais aussi fils de Vialatte, Grozdanovitch, mieux que n'importe quel philosophe pompeux, a posé d'un doigt léger son diagnostic sur l'homme, et propose ce remède : l'attentive paresse. Autant dire le bonheur.

Olivier Le Naire, L'Express, 10 octobre 2002.


C'est l'antidote inespéré de cette rentrée monstrueuse, qui ressemble plus à un embouteillage du 1er août sur la N7 qu'à un renouvellement du paysage littéraire. Denis Grozdanovitch appartient à une espèce que l'on croyait disparue à jamais et qui est celle des "tueurs de temps". Impératif absolu : prendre les choses ainsi qu'elles viennent à vous, dans le désordre mystérieusement précis de l'existence. L'auteur excelle au tennis où il a remporté quelques championnats—y compris contre des Anglais !—, on peut le rencontrer chez Roger Conti, où les joueurs de billard ignorent que nous sommes au XXIe siècle; c'est aussi un lecteur exquis, qui a lu Samuel Johnson et sait que La Vie dans les bois de Thoreau figurait au nombre des lectures favorites du petit Marcel Proust. Bref, Denis Grozdanovitch est une bénédiction du ciel ; on voudrait être sûr qu'il existe bel et bien, qu'il est encore possible d'écrire de telles choses. "D'aucuns parmi nous prétendent que nous entrons dans la civilisation des loisirs", écrit-il délicieusement; il sait de quoi il parle et combien la bêtise des temps est parfois si lourde à rompre. Ce cousin stylistique du meilleur Gracq (oh ! ces pages sur New York, Soho, Battery Park) sera lu dans trois mille ans, une fois que la guerre des étoiles aura connu son épilogue. Vite !

Michel Crépu, La Croix, septembre 2002.



Les amateurs de lenteur se font rares par les temps qui courent. Et les dilettantes, avec leur culte de l'à-quoi-bon, ne semblent guère en vogue depuis que l'avidité et la turbulence règnent sans partage sur le monde moderne. Denis Grozdanovitch, ce sportif reconverti dans la métaphysique, est pourtant l'un d'entre eux. Décalé, attardé, démodé, il aurait pu, en Bartleby de l'écriture, se satisfaire d'une œuvre virtuelle. Mais José Corti, I'éditeur des misanthropes, a dû le persuader un jour de publier le recueil de ses mélancolies, et cela donne un livre dont l'improbabilité fait merveille. (...) Sur le fond, cet ouvrage, composé de saynètes et de méditations, se propose de tuer le temps - ou, à défaut, de le blesser. Il fait l'éloge de l'oisiveté, du détachement, des cerfs-volants, de la banalité. On y rencontre des gens qui se donnent rendez-vous sous un reverbère et qui n'ont rien à se dire. On y fréquente Oblomov et Restif de La Bretonne, le haïku et les tortues éléates, le cosmos et le presque-rien. De Duns Scot, I'illustre théologien médiéval - une référence inhabituelle à Wimbledon -, il retient l'idée que les êtres n'accèdent à l'universel qu'en approfondissant leur perception de " «l'infiniment singulier». D'où ses pages sur le vol d'une feuille morte chahutée par le vent, sur un nuage traversant le ciel de Sils-Maria, sur une olive entrevue dans un paysage grec. Il y a là toute une « ébriété du présent», sans flonflon ni théorie, mais ferme et servie par une prose dont l'élégance ne se dément jamais.(...) (...) il s'agit là d'un traité sur « la jouissance d'exister». L'auteur y devient saoul à force de boire du présent. Et son ivresse, délicieusement contagieuse, plonge le lecteur dans une extase accessible à tous ceux qui ont encore des yeux pour voir et quelques autres sens pour ne pas s'ennuyer.

Jean-Paul Enthoven, Tuez le temps ?, Le Point, 18 octobre 2002