Georges Picard est né à Paris en 1945. Longtemps journaliste pour 60 millions de consommateurs, il consacre aujourd’hui son temps à la marche, la lecture et l’écriture.
L’Anachorète du XVe arrondissement, par Paul-François Paoli
Georges Picard est de ces écrivains qui jouent le sens de leur vie dans la littérature et y sacrifie leur existence sociale.
Fils d’ouvrier, employé dans une usine à sardines puis journaliste à «60 millions de consommateurs», Georges Picard est l’auteur de quinze livres à la musique délicate.
Il est un peu notre Cioran, l’amertume et le goût du désastre en moins. Comme le génial Roumain, il a sacrifié dans sa jeunesse à l’illusion de changer le monde par la violence, avant de devenir athée en politique. Comme lui, il a beaucoup vagabondé à travers la France, à vélo et surtout à pied, pour tenter de trouver un sens à sa vie. Enfin, il a préféré le retrait aux tapages médiatiques et vit comme un anachorète en plein Paris, dans son appartement du XVe arrondissement, où il nous reçoit.
Depuis Brèves nouvelles du monde publié en 1986 jusqu’au Philosophe facétieux, parus chez José Corti, son éditeur depuis quinze ans, Picard a écrit une quinzaine de livres remarquables par leur qualité de style et leur sobriété de ton. Ses sujets sont l’errance, l’ivresse, l’insomnie, l’amour, la philosophie, et par-dessus tout, l’insondable mystère de celui que l’on est pour soi-même. « Ce que peut espérer de mieux celui qui s’autobiographie, c’est de moins bien se comprendre après qu’avant, en étant plus près du noyau brumeux de son être », écrit-t-il dans Le Vagabond approximatif.
Vagabond et approximatif : ces deux termes vont comme un gant à Georges Picard dont l’existence a commencé par un naufrage. Il y a d’abord ce grand blanc qu’est l’absence d’une mère alcoolique qu’il n’a jamais connue. Pris en charge par l’organisation de secours aux enfants de déportés et orphelins juifs (OSE) qui s’occupe aussi des familles juives démunies, il se réfugie dans les livres sous l’influence de son ouvrier de père, qui lui donne le goût des classiques. Il lit Montaigne et Rousseau, découvre Nerval, un vagabond lui aussi, admire Balzac et Dostoïevski.
Publié depuis 15 ans par José Corti
Gosse de pauvre qui côtoie les riches, il adhère aux Jeunesses communistes dans les années 1960. C’est l’époque où le parti est une contre-société, mais l’institution, trop peu révolutionnaire à son goût, le déçoit. En mai 1968, il rejoint les groupes maoïstes et sacralise la classe ouvrière. Ce n’est pas un violent, tout juste un maladroit. « Le seul pavé que j’ai lancé n’a pas touché la vitre visée, tout juste un réverbère », se souvient Picard. Il a vingt-deux ans et découvre Paris en ville ouverte, les longues balades nocturnes, les amours sans lendemain, les palabres enfiévrées. « Nous vivions cette forme d’épanchement du rêve dans la réalité qu’évoque Nerval », explique-t-il. Puis vient la désillusion. Pour rejoindre le « peuple en lutte », il s’embauche dans une usine de sardines à Lorient, en Bretagne. « Mes rêves partaient en lambeaux avec les viscères des sardines et des maquereaux. » Picard, devenu père d’une petite fille, va devoir gagner sa vie avant de prétendre la changer. Après quelques petits boulots, il devient journaliste chez 50 millions de consommateurs, devenu depuis 60 millions ! Il continue d’y officier, trois jours par semaine. Bigre. Si on lui avait dit à l’époque où il voulait en finir avec la société de consommation qu’il serait le maître d’oeuvre de bancs d’essais pour des lessives et des radios-réveils…
Comme beaucoup d’ex-soixante-huitards, Picard, s’il n’a rien renié de sa jeunesse, défend aujourd’hui une certaine idée, fort classique, de la culture et de son apprentissage qu’il pense devoir être fondé sur l’étude des grands auteurs. (...)
L’ancien gauchiste est devenu conservateur, à sa manière. Il brocarde « ce structuralisme du pauvre » qui a ravagé l’Éducation nationale et fait de tout « jeune » une victime en puissance. Il se fait défenseur de la rigueur grammaticale. Comme d’autres, il pense que la culture littéraire est en voie de marginalisation, ce qui n’est pas contradictoire avec la prolifération de livres transformés en rampes de lancement pour ego. Bref que nous vivons une vilaine époque, mais qu’après tout, c’est depuis toujours le sort de l’artiste d’être non seulement minoritaire, mais la plupart du temps, ignoré. « Je me sens proche de ces écrivains trop engagés dans la littérature pour ne pas y jouer le sens de leur vie, y consumer leur esprit, y sacrifier leur vie sociale… », écrit-il. On peut le croire. Son œuvre en témoigne, qui mérite le détour.
Paul-François Paoli | Le Figaro | 25 septembre 2008