Émilien SERMIER | Les Essais (2022)
Au cœur des Années folles, toute une constellation de poètes part à l’aventure du roman. D’Apollinaire à Supervielle – en passant par Albert-Birot, Beucler, Cendrars, Cocteau, Delteil, Grey, Havet, Jacob, Jouve, Mac Orlan, Morand, Reverdy, Salmon ou encore Soupault –, nombreux sont les écrivains modernistes à explorer le genre favori de l’industrie littéraire. Dans un climat d’émulation collective, ils expérimentent les formes romanesques selon des formules insolites : non seulement ils perturbent les conventions réalistes, mais ils tonifient le genre en variant ses proportions, ses rythmes, ses énonciations, ses personnages – afin de les accorder au « profond aujourd’hui ».
Ce livre vise donc à combler une lacune dans nos histoires du roman au XXe siècle. Dans une perspective sociopoétique, il montre comment, en marge des œuvres canoniques de Proust ou de Joyce, et à l’écart du surréalisme, ces textes modernistes de langue française participent au renouvellement mondial du genre. Ainsi réhabilite-t-il un corpus longtemps déclassé, ou mal classé, pour rappeler qu’il a existé en France – et bien avant le Nouveau Roman – un « roman nouveau ».
Romans monstres, vies syncopées, « phrases fusées » et romans à clés : la créativité sans limites de ces nouveaux romanciers restait jusqu’à présent négligée, notre histoire littéraire préférant s’en tenir aux écoles autopromues, à l’instar du Nouveau Roman. Certes, poètes-romanciers des Années folles et « auteurs Minuit » des années 1950-1960 ont partagé un même refus du réalisme balzacien. Les premiers toutefois pratiquaient le « doute », non le « soupçon » qui dominera les seconds : plus souples, plus joyeux, ils ont formé un courant dont la (re)découverte représente un événement.
Jean-Louis Jeannelle, Le Monde, vendredi 5 mai 2022