Laurent Demanze | Les Essais (2015)
Ce livre, je voudrais le placer sous le signe de Bouvard et Pécuchet.
Car bien des écrivains contemporains leur ont emboîté le pas pour braconner avec gourmandise sur les territoires de la science.
« Une encyclopédie critique en farce », c’est ainsi que Flaubert désignait son roman pour dire que la pulsion de savoir ne va pas sans le soupçon du scepticisme ni le rire de l’idiotie.
À la manière de l’autodidacte ou de l’amateur, l’écrivain répond aujourd’hui à l’ambition autrefois revendiquée par Italo Calvino : il relie les champs du savoir, renoue ensemble les disciplines dispersées et oppose à l’intimidation des discours spécialisés une curiosité vagabonde.
Manière de dire que la littérature, si elle a renoncé à son magistère d’autrefois, affirme contre l’autorité du savant une démocratie du savoir.
Dictionnaires capricieux et encyclopédies lacunaires, ivresse de la liste et folie de l’inventaire : l’époque cède volontiers à l’encyclomanie.
À rebours du désir de totalité et de la frénésie de l’archive, les écrivains contemporains composent des encyclopédies fragmentaires et ouvertes pour dire l’exigence de la lacune et la nécessité de l’inachevable.
Raymond Queneau et Georges Perec, Gérard Macé et Pascal Quignard, Olivier Rolin et Pierre Senges : voilà quelques-uns des auteurs que je réunis dans cette collection de lectures, qui font de l’encyclopédie un puissant fictionnaire et rappellent la teneur de savoir de la littérature. À défaut de rassembler la totalité des savoirs, ces fictions encyclopédiques élaborent un art de l’oubli, qui a sans doute partie liée avec la sagesse.
Un bel essai de Laurent Demanze rend hommage aux récits contemporains qui s’aventurent sur le terrain des sciences.
Chloé Brendié