Éditions Corti

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De l’air porteur

Larry Eigner | Série américaine (2014)
Traduit par Martin Richet

Larry Eigner naît le 7 août 1927. Suite à un accident de forceps à la naissance, il est atteint d’infirmité motrice cérébrale.

Les spasmes musculaires troublent l’immobilité forcée du handicap, la parole est difficile. Chose relativement rare pour l’époque, il reçoit une éducation (l’enseignement primaire est assuré à l’hôpital, l’enseignement supérieur, par correspondance, aurpès de l’Université de Chicago). Pour sa Bar Mitsvah, ses parents lui offrent une machine à écrire : une Royal Manual de 1940 qui deviendra le pendant scriptural de son fauteuil roulant.

Il passe les 50 premières années de sa vie dans son village natal, Swampscott, entre forêt et océan, et investit la véranda de ses parents comme bureau d’écriture.

Ses premiers poèmes paraissent dès 1937, dans des journaux locaux et magazines pour enfants.

Son premier livre, From the Sustaining Air, publié par Robert Creeley en 1953, est salué par William Carlos Williams : « Curieux comme, après lui, les œuvres du passé paraissent démodées ». Ses textes paraîtront dorénavant dans les revues principales de l’époque, Poetry, The Paris Review, Origin, The Black Mountain Review, puis This ou L=A=N=G=U=A=G=E ainsi que dans plusieurs anthologies importantes, en Amérique et ailleurs (citons The New American Poetry, éd. Don Allen, Grove Press, 1960 et Vingt poètes américains, éd. Jacques Roubaud et Michel Deguy, Gallimard, 1980).

À sa mort, le 3 février 1996, il aura écrit plus de 3070 poèmes et fait paraître une cinquantaine de livres.

Nous proposons aujourd’hui une première traversée chronologique des poèmes de Larry Eigner établie à partir partir de ses Collected Poems, édités par Robert Grenier et Curtis Faville, parus chez University of Stanford Press en 2010. Nous avons autant que possible respecté leurs leçons et principes : la fidélité aux manuscrits et à la « calligraphie mécanique » de l’auteur.

Parce que toute la page compte : deux doigts, index et pouce de la main droite, énoncent un monde de découverte et de perception, une grammaire de l’attention, dans le temps de la pensée, mécanique dansée d’une écologie fractale, d’une physique pour la poésie.

Parce que le signe, ici, est naissance la chose, vie d’un corps né sur la page, né de la page elle-même. De la page blanche passée au noir de la machine à écrire.

Larry Eigner, à la suite de Charles Olson et de son manifeste du vers projectif, comprend pleinement la puissance syntaxique de l’organisation spatiale du signe noir dans l’espace blanc. Les mots s’alignent, s’empilent, se s’entrechoquent, se sillonnent, se contrent, se déploient, comme les merles que l’auteur entend et voit sur fond de neige par sa fenêtre. Les mots se déploient sur la page comme les êtres dans le monde, « dans l’air porteur».


Martin Richet