Éditions Corti

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Levée d’écrou

Ghérasim Luca | Domaine français, 2003

Une nouvelle fois, Ghérasim Luca nous surprend.

Avant la conception par l’auteur de Héros-Limite d’un véritable recueil poétique fait de lettres, cet ensemble a d’abord vraiment été une correspondance, écrite dans les années 50.

À l’époque de cette écriture, une amie de Ghérasim Luca envoie au hasard, selon un tirage au sort dont elle est seule à connaître la règle, toutes ces lettres de GL à un inconnu, qui ne pouvait se manifester, ne sachant d’où venait ces mystérieux envois. Cette manifestation poétique concrète achevée, l’ensemble a été, si ce n’est oublié, du moins laissé dans un coin d’une malle.

Quelque dix années plus tard, GL retrouve cette correspondance et la considère comme un véritable recueil à part entière qu’il intitule Levée d’écrou, déjà toute une symbolique.

Ce recueil n’avait jamais fait l’objet d’une publication. A l’initiative de Thierry et Nadejda Garrel, qui assurent la présentation de cet « objet poétique » et de Micheline Catti, ce recueil peut, 40 ans après conception, exister.



En annulant sa propre identité devant ce lecteur inconnu, cet anonyme si bien "visé" par un jeu littéraire, Ghérasim Luca n'est pas loin, par désincarnation postale successive, de donner involontairement un "manifeste" à l'histoire" de la littérature du XXe siècle qu'Antonin Artaud a inaugurée peu avant en révélant ce double en soi qui préside à la naissance du poème. Ces missives n'ont jamais été adressées au-delà du temps qu'à nous autres lecteurs. Un livre pour redire ce qu'est le pouvoir de la poésie et appeler la poésie au pouvoir.

     

Marc Blanchet, Le Matricule des Anges, n°44


     

Pourrait-on encore refuser la main tendue par Ghérasim Luca ? Comme tous les ouvrages de cet auteur, voici un livre essentiel à qui s'intéresse un tant soit peu à la poésie contemporaine.

    

BCLF, mai 2003.


     

Le genre choisi (prose épistolaire limitée en longueur et en nombre) est fortement contraignant, et de cette contrainte jaillit la poésie, cette « émission de voyelles que je viens de capter », adressée au « seul interlocuteur possible ». Un jaillissement susceptible de « lever l’écrou » de la prison de la vie ? Pourtant, « être en route, chercher et même trouver une clef, ce ne sont là que des passe-temps de serrurier ». Les textes brefs et denses jouent sur la présence et l’absence, la proximité et l’éloignement, les mystères de la langue (« Je reçois actuellement des nouvelles assez inquiétantes sur le langage »), les sonorités (certains des fac-similés mettent en évidence les mentions manuscrites de la musique vocalique), et les questions qu’ils posent ne réclament évidemment pas de réponses du récepteur inconnu : « Vos questions sont plus essentielles que vos réponses », et l’on peut se dire : « Votre silence systématique me suffit ».      Émetteur anonyme et récepteur inconnu (« Qui êtes-vous ? Qu’est-ce qui vous manque ? Que devez-vous faire ? »), questions multiples auxquelles « une seule réponse s’impose : vous êtes inévitable ». Et seuls les mots restent, tracés sur la page et allant penchés vers on ne sait où, on ne sait quoi, on ne sait qui, but et destinataire qui sont comme une image en retour de l’écriture et du scripteur: « Je me vois, fermant les yeux un instant, exprès, volontairement, devant l’excès de beauté que m’offrait notre double disparition. » Les courtes pages de Levée d’écrou, reprises en reflet et en profondeur par les fac-similés, forment un tout, un objet poétique d’un seul élan, précis et ambigu, incisif et énigmatique.      

Jean-Pierre Longre, Sitartmag.