Éditions Corti

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Le Vampire passif

Ghérasim Luca | Domaine français, 2001

Publié en 1945 aux éditions de l’Oubli à Bucarest, « Le Vampire passif » de Ghérasim Luca fut remarqué par le milieu surréaliste français notamment parce qu’un extrait figura dans la revue dirigée par Georges Henein « La part du sable » en 1947 en compagnie de textes de Fardoulis-Lagrange, Jabès, Michaux.

Les premiers textes de Ghérasim Luca et particulièrement le Vampire Passif, comme le souligne Dominique Carlat, cherchent à prolonger l’ébranlement suscité par les textes surréalistes s’interrogeant sur la fragilité de la frontière établie entre le « hasard objectif », et le délire d’interprétation avec un humour corrosif.

« Le Vampire passif » se présente comme un objet littéralement impossible à définir : mêlant exposé théorique et prose poétique haletante, confessions personnelles et visées scientifiques, clichés photographiques d’Objets Objectivement Offerts – catégorie nouvelle créée par Luca qui s’engouffre dans l’espace ouvert par Breton pour, grâce à ces OOO capter le hasard dans sa forme dynamique et dramatique parce qu’ils sont capables d’objectiver l’ambivalence des pulsions, nos tendances d’amour-haine trouvant dans le monde des objets extérieurs une équivalence presque continuelle.


Il a été tiré 25 exemplaires sur Ingres avec la photographie originale ci-dessous sur papier baryté, numérotés de I à XXV ainsi que huit exemplaires hors commerce.



Ghérasim Luca, qui avait fui, au début des années 50, la Roumanie passée du fascisme au socialisme, devait ensuite vouer, à Paris, sa vie si peu parisienne à écailler les mots telles des huîtres. Ce bégaiement lumineux décapait, dénoyautait, déracinait le français pour que chaque terme pût éclore, passant du son au sens et du sens à l’essence. Voici, par exemple, le début de Héros-limite : «La mort, la mort folle, la morphologie de la méta, de la métamort, de la métamorphose ou la vie, la vie vit, la vie-vice, la vivisection de la vie»... ... Ghérasim Luca travaillait comme un damné sa diction, son souffle, sa science de l’expectoration. Et cet athlète du larynx, avec son corps étrangement râblé, la finesse de son visage et son accent roumain, sidérait ses auditoires de Genève à New-York. Aujourd’hui, le cercle de ses adeptes devrait s’élargir grâce à un double disque numérique, G.L. par G.L., qui provoque une commotion intime prodigieuse.

Télérama, Antoine Perraud, 23 mai 2001


     

Lire aujourd’hui cet ouvrage illustré() de 18 photos d’Objets objectivement offerts, c’est éprouver d’abord le frisson d’une époque révolue. Il est en effet question d’amour fou et de sadomutilation, de beauté irréelle et d’André Breton, de hasard objectif et de désir à peu près partout. Il y a dans les considérations kabbalistiques de Luca, comme dans le récit de ses délires organisés, une sorte de flux syncopé, rompu, repris, qui ne cesse de revenir sur ses propres fureurs interprétatives. José Corti nous offre une belle occasion de (re)découvrir Ghérasim Luca : depuis plus de quinze ans, ses œuvres ont en effet été (re)publiées par cet éditeur, alors qu’elles étaient souvent dispersées en plaquettes rares ou introuvables.

    

Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles, 26 juin 2001