Éditions Corti

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Les Nuits facétieuses

Giovan Francesco STRAPAROLA | Collection Merveilleux n°7 (1999)
Traduction revue et postfacée par Joël Gayraud

De Straparola, à qui nous devons une manne d’histoires promises à traverser les siècles, nous ne savons presque rien. Son nom même pourrait bien n’être qu’un pseudonyme auto-dépréciatif. Straparola évoque en effet le verbe straparlare qui signifie parler trop ou mal, dégoiser. Straparola signifierait, stricto sensu, le jacteur, le dégoiseur.

C’est en 1550 que paraît à Venise un recueil de 25 nouvelles ou plutôt fables intitulé Le Piacevoli Notti. L’ouvrage reçoit un accueil enthousiaste ; trois ans plus tard, il est complété par une seconde partie, comprenant 48 autres fables et l’ensemble ne cessera d’être réédité durant un demi-siècle: on comptera 23 éditions de 1558 à 1613. Puis, les Piacevoli Notti, condamnées par la censure ecclésiastique en décembre 1605, mises à l’index pour obscénité, cesseront peu à peu d’être publiées et donc de circuler.

Suivant un procédé narratif illustré par Boccace dans le Décaméron – et véhiculé avant lui par les orientales Mille et une nuits –, ces récits sont enchâssés dans un cadre qui constitue lui-même un récit englobant tous les autres: dans un palais situé sur l’île de Murano près de Venise, la fille d’Ottaviano, Maria Sforza, a réuni autour d’elle une cour de dix jeunes filles, et reçoit régulièrement une brillante compagnie de gentilshommes et d’érudits. À l’époque du carnaval, elle prolonge ses soirées dansantes par un divertissement original : cinq jeunes filles désignées par le sort devront raconter une histoire et la faire suivre d’une énigme. Cinq fables seront donc contées chaque nuit, sauf lors de la treizième et dernière, où, en une sorte de récapitulation circulaire, on en contera treize.

Entre nouvelles réalistes et contes de fées, Straparola décline toute une série de variantes littéraires où l’humour et la rêverie se le disputent: de l’histoire d’amour issue du mythe antique d’Héro et Léandre à l’étonnant mélange de scatologique et de merveilleux dans l’histoire d’Adamantine et de sa poupée, en passant par la parodie du conte à transformation comme celui de Denis le magicien, son œuvre est elle-même un être littéraire protéiforme et labile comme la plupart de ses personnages.



Il est heureux que, grâce aux éditions José Corti, soit rendu disponible ce livre par lequel La Belle et la Bête ou Le Chat Botté entrèrent en littérature, ce livre où puisèrent Basile et Perrault, de même que Shakespeare – qui trouva dans la septième nuit le sujet de Tout est bien qui finit bien – et La Fontaine – qui en reprendra deux dans Les animaux malades de la peste et l’Ours et l’amateur de jardins.
Jean-Loïc Le Quellec, La Mandragore, 4/1999.