Valery Afanassiev | en lisant en écrivant (2009)
J’ai commencé à écrire ce texte en anglais. Peu à peu, je me suis rendu compte que j’écrivais un poème, pas une conférence. Et c’est une conférence que je devais écrire pour répondre à la demande de mon impresario japonais : il voulait que j’ajoute une note littéraire — pour ne pas dire musicologique — aux concerts que je donne pendant mes tournées au Japon. A Moscou, j’ai étudié la théorie musicale pendant de longues années, si bien que je pourrais écrire un livre savant. Mais il importe au premier chef qu’un lecteur (ou un auditeur) se rende compte de l’aspect omniprésent de la musique, du cosmos qu’elle dévoile, auquel elle appartient. (Cette phrase ampoulée serait à sa place dans le Discours de la musique qu’un émule de Descartes aurait pu écrire.) Les philosophes chinois disent que, grâce à la musique, « les yeux et les oreilles voient et entendent bien ; entre le sang et le souffle s’établit un équilibre harmonieux ; les mœurs se civilisent ; la terre des hommes est paisible. » Ils croient que « de la musique résulte l’union harmonieuse du ciel et de la terre ». Dans les textes qui suivent je me penche également sur l’aspect destructeur de la musique, négligé par les musicologues mais souligné par les poètes.
Ce que je propose est l’approche multiple d’une sphère qui s’apparente à l’aleph de Borges ou au Dieu de Spinoza. Les écrivains d’aujourd’hui ne peuvent ignorer Musil et Proust sous peine d’amputer une partie de notre cerveau : concevoir des œuvres qui ne tiennent pas compte de leurs recherches serait revenir à un temps où la mécanique quantique et la relativité n’existaient pas. En revanche, un compositeur peut ignorer Schoenberg, et cela en vertu de l’omniprésence de la musique. Quoi que l’on fasse, on n’en fera jamais abstraction.
Je propose aussi un commentaire sur cette maxime chinoise :
«L’ombre d’un oiseau qui vole ne bouge jamais.»
Valery Afanassiev