Julien Gracq | Domaine français (1948)
Lorsqu’il se penche sur le phénomène André Breton, qui fut aussi un ami, Julien Gracq cherche à élucider les enjeux de l’écriture. Il médite sur les éléments et les rêves surréalistes : le franchissement de la frontière entre conscient et inconscient, le dépassement du quotidien, la quête, la révélation, l’amour.
[…] l’étude de l’"écrivain" André Breton manifeste une propension naturelle à proliférer, à déborder son cadre initial, et à devenir un essai […] sur le phénomène surréaliste dans son ensemble. On soulignera plus loin ce qu’a de fatal une pareille pente : on tentera cependant de ne pas y céder. Il suffira largement à cet essai de vouloir rendre compte dans une certaine mesure des ondes turbulentes que propage autour d’elle une personnalité assurément de "grand format" – et qui par certains côtés est devenue, et a mérité de devenir, exemplaire. Cette personnalité apparaît d’une façon durable comme traversée par certaines lignes de force (on verra qu’une métaphore aussi usée rencontre ici une chance unique de se remagnétiser) et le faisceau de ces lignes lui maintient d’ailleurs seul une cohésion sur laquelle Breton a toujours entendu se défendre de mettre un accent si peu que ce fût artificiel (le début de "Nadja" à lui seul suffirait à déceler chez lui la fascination quasi continuelle d’un éclatement de la personnalité). Mais un " moi aussi concrètement noué et aussi dense ne peut nous faire perdre de vue l’aire d’attraction mal déterminée particulière aux phénomènes de magnétisme : le propre de ces lignes de force en effet, après avoir "traversé", paraît être de se prolonger, et il n’est pas possible de s’intéresser même concrètement à l’écrivain sans essayer de voir ce qui amène de telles lignes de force sur leur prolongement à exaspérer sans cesse autour d’elles ce tourbillon compliqué et contradictoire de particules à quoi se réduit en dernière analyse ce qu’on appelle un "mouvement".
Julien Gracq (page 11 et 12 de André Breton, quelques aspects de l’écrivain)
"De ce livre, on a dit qu’il était le plus beau, le plus subtil et le plus rigoureux des ouvrages consacrés à l’écrivain André Breton" (Bernhild Boie) et ceci, quelles que puissent être les restrictions de Julien Gracq à son sujet : " Ce n’est pas un regard sur l’ensemble de l’œuvre de Breton, c’est un projet beaucoup plus restreint […] C’est l’écrivain qui était mon sujet, et, dans le cas de Breton, il s’agissait d’une part très incomplète de son œuvre, puisque c’était la vie surtout qui l’intéressait. "
Julien Gracq, Entretien avec Alain Coelho, 303, La Revue des pays de Loire, N°8, page 67.