Éditions Corti

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L’Eau de Jouvence

Sadegh Hedayat | Littérature étrangère, 19893
Traduit du persan par M.F. et Frédéric Farzaneh

Avec ce recueil de six récits inédits, écrits entre 1933 et 1944, l’écrivain iranien Sadegh Hedayat se confirme comme l’une des plus hautes figures de cette littérature crépusculaire où les noms de Beckett, de Bernhard, de Kafka se sont, à jamais, illustrés.

S.G.L.L. (1933) est une anti-utopie où Hedayat imagine une société future terrifiante. Au contraire de Jules Verne, sa vision du progrès, de l’évolution des sciences et des techniques, aboutit à une fin cauchemardesque d’autant plus implacable que l’humain, trop humain contient en germe la catastrophe. Au traditionnel struggle for life se substitue, constat terrible, le principe du struggle for death.

Afarin-gan (1933) (La prière des morts) nous plonge dans la Tour des Morts, où il devient évident qu’il y a, pire que celui de la vie, l’enfer des défunts. Celui, tout intellectuel, imaginé plus tard par Sartre n’est rien au regard de ce qu’en révèle Hedayat : "Tout n’est qu’illusion ! Une poignée d’ombres, les produits d’un cauchemar monstrueux, d’un rêve d’opiomane".

Dans Cul-de-Sac (1942), un homme vieilli, apathique, sans plus aucune illusion sur rien, va être le témoin de la répétition de l’événement même qui l’a détruit. L’illusion de l’éternel retour débouchera sur la fatalité d’un nouveau désastre, ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre…

Avec L’Eau de jouvence (1944), Hedayat revisite la tradition du conte oriental selon une visée apparemment politique et satirique, en dénonçant deux des aliénations majeures de l’homme : la soif de l’or et le besoin de drogue sous toutes ses formes – eau-de-vie ou opium. Malgré l’optimisme apparent de la fable, la vision historique et sociale reste profondément noire.

Dans Lunatique et Sampingué (1936), qu’Hedayat écrivit en français, nous retrouvons l’Inde de La Chouette aveugle, avec ses délices et ses maléfices.

Note : Les deux premières nouvelles ont été écrites par Hedayat directement en français à Bombay. Il ne publia pas ces récits car il n’en était pas satisfait. Dans une lettre à son ami Chahid-Nouraï, en 1948, Hedayat lui parle de la nécessité absolue de revoir les textes impubliables en l’état. Leur révision a été confiée à Joël Gayraud.

Afarin-Gan et SGLL sont extraits de Sayeh Rochane (L’ombre et la lumière, 1933) : Cul-de-Sac de Sag-e-velgard (le chien errant, 1942) ; L’eau de Jouvence (Ab-e-zendegui, 1944) fut publié dans le journal Mardom (le Peuple), l’organe officiel du parti Toudeh (les masses).



"Afarin-gan" ("la Prière des morts"), nouvelle de 1933 recueillie dans l'Eau de jouvence, se passe chez les morts de la religion zoroastrienne. Leur situation est épouvantable. "Quelle vie, ou plutôt quelle mort douloureuse!" Ou, comme dit une autre "ombre": "Sur terre encore, il reste un espoir de fuite: la mort! Mais, il n'y a même plus cette solution, ici." Dans "S. G. L. L.", texte de la même année, il s'agit de science-fiction. "En l'espace de deux mille ans, la morale, les habitudes, les sentiments, bref l'essence même de la vie avait complètement changé. Tout ce que les religions et les idéologies avait promis aux hommes, la science le leur avait accordé. La soif, la faim, la sexualité et les autres problèmes étaient résolus. L'homme avait vaincu la vieillesse, la maladie et la misère." Demeure pourtant "l'ennui d'une vie sans but, monotone". En conséquence de quoi, le suicide collectif est à la mode. L'ironie de Hedayat se lit aussi bien dans ses intrigues que dans son vocabulaire. Un des personnages de "S.G.L.L.": "Durant des siècles, dans une civilisation dégradée, quelques obsédés sexuels ont sublimé l'amour, par intérêt personnel. De nos jours, l'amour a enfin retrouvé son sens originel."
Extrait de l'article de Mathieu Lindon, Libération du 3 octobre 1996.