Sadegh Hedayat | Littérature étrangère, 19893
Traduit du persan par M.F. Farzaneh
Dans La Dame Alavieh, Sadegh Hedayat, auteur iranien (1903-1950) qu’on ne peut plus désormais enfermer dans son seul chef-d’œuvre La Chouette aveugle, utilise le folklore pour base de son récit. M.-F. Farzaneh raconte comment un ami de Sadegh Hedayat, l’acteur et metteur en scène Nouchine, membre du parti Touden, avait rencontré dans un car qui menait à Meched "une montreuse d’Images, de ces toiles peintes à l’aide desquelles on raconte le martyre de Hossein à Kerbela. Elle n’arrêtait pas, paraît-il, de jurer déversant des torrents d’immondes grossièretés du genre : Va donc femme à mille bites !"
À l’occasion des pèlerinages vers les lieux saints des troupes de gens du voyage se chargent de donner des représentations qui s’apparentent aux mystères médiévaux. Comme le culte des Images est interdit en Islam, on n’expose pas celles des saints, mais on peut les dévoiler temporairement. À chaque étape, les montreurs d’Images déroulent petit à petit, une toile de plusieurs mètres de long, qui fonctionne en quelque sorte à la manière d’une bande dessinée ou d’un film primitif. Sur la toile, sont représentés dix-neuf histoires relatives à la geste particulière de l’Islam chiite et concernant plus précisément le martyre de Hossein et le retour messianique de l’Imam Absent. Ces toiles ont remplacé les lanternes magiques que décrit Omar Khayam et que l’ont produisait sur les marchés persans. Hedayat ne s’en tient pas à une description ethnographique, mais écrit une nouvelle construite comme une pièce de théâtre ou un scénario de film, alliant à une parfaite rigueur de composition la plus grande insolence verbale. Il défiait toutes les convenances morales et linguistiques de son pays et de son temps, par la simple mise en scène d’une femme du peuple exprimant à l’aide d’une accumulation de jurons et d’expressions vulgaires une révolte à l’état brut, et dont la touchante mauvaise foi ne peut faire oublier le sort atroce. Ce texte que Hedayat fît publier sous le manteau à deux cents exemplaires en 1933, ne fût connu que d’une petite minorité d’intellectuels avant-gardistes et conserva une réputation d’œuvre maudite, sans doute parce que les outrances verbales de l’auteur rendaient compte, avec plus d’efficacité que n’importe quelle analyse sociologique, des outrances insupportables d’une société qui refusait de les voir et de les reconnaître.
Ce récit satirique est complété par deux autres récits inédits tout aussi mordants.