Éditions Corti

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Vol-ce-l’est

Caroline Sagot Duvauroux | Domaine français (2004)

“Je dans l'enclos de colère marchais tutoyais vent d'hiver et la dislocation où s'engouffraient les mots dans les images et les images dans le vent d'hiver”. Ainsi commence, dans l'emportement de laisses ivres d'urgence et d'émotion, Vol-ce-l'est, le troisième livre de Caroline Sagot Duvauroux, après Hourvari dans la lette et Atatao.

D'emblée, s'impose et se reconnaît un style, se confirme la singularité – l'étrangéité ? – d'une écriture. ”Je les mots voir disais dans les yeux des mourants je veux les mots des confins jetés par vent d'hiver dans les yeux des mourants. Voudrais l'ailleurs en l'enclos de colère et saigner l'immédiat”. Caroline Sagot Duvauroux écrit pour prendre la mesure de toutes les compromissions qui nous aident à vivre. Elle le fait au bord de la déroute, au bord des limites où toute compréhension se décompose. “Oui le sens mais jusqu'impensable/ mais à partir/ puisque sens ou non c'est où je ne pense pas/ parce que je ne veux pas/ (.. )/ le sens n'est pas dans mon incompréhension/ mais dans l'océan qui me rabat/ la bouche pleine de langues”.

Se refusant à toute emprise de clôture, désétranglant ce que le langage a étranglé en nous, mêlant la prose aux vers et métamorphosant la page en forêt, en clairière, en champ d'exploration ou en chambre d'échos, Caroline Sagot Duvauroux lâche la meute de ses mots, les envoie en reconnaissance ou à l'assaut... ou bien les utilise pas à la manière d'une grenade. Avec une voracité d'ogre gourmet (“Allez viens langue carnassière/ l'oxymoron de gueule et ma langue fermière/ jusqu'à la basse-cour où peser de main sûre/ la bête avant les mots/ Dieu qu'on en a marre des symboles/ quand l'émerveillement sombre, avant de grincer des dents”), c'est tout ce qui se profile derrière le périlleux jeu de vivre, derrière les ombres de l'amour et du destin, que poursuit Caroline Sagot Duvauroux. Tout l'envers barbare de la vie, la merveille comme l'épouvante, le secret des origines et des destinations, mais aussi l'orage et l’attente, le poème et l'enfance. Allant par des voies obliques et mêlant à sa voix l'ombre de celles de Phèdre, de Villon, de Rimbaud, d'Héraclite ou de Maldiney, Caroline Sagot Duvauroux lève, débuche ou dénude – "jusqu'à l'os des larmes” – tout ce que cachent les apparences. “Écrire n'est pas chanter d'où cette douleur très spéciale d'avoir un corps inutile incompétent atrophié par les mots.// Cette déportation désapprend tout et les membres tremblent de vouloir recommencer patauger tâtonner poser trace avec la hotte. Ne savent plus. Oublieux trop longtemps de l'outil. Ne peuvent plus se manier eux-mêmes et ne savent plus rejoindre la chose si longuement chassée par la pensée. Chasse a remplacé la chose”.

(...)

Richard Blin • Le Matricule des Anges,
février 200(4).