Éditions Corti

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La Cendrouse et autres contes du Jutland

Evald Tang Kristensen | Collection Merveilleux n°9 (1999)
Édition établie et traduit du danois par Jean Renaud
(EP, sera réédité en 2018)

Voici donc enfin publié ce grand oublié des collectes de contes : Evald Tang Kristensen. À l’instar des célèbres frères Grimm, il s’est attaché à recueillir — dans le Jutland, au Danemark — des joyaux de littérature orale. Très proche de “ses” conteurs, qu’il connaît bien, le danois nous restitue, sans ajouter une virgule, la saveur de leurs histoires. Il illustre bien à sa manière que l’excellence, en matière littéraire, n’est pas seulement affaire de papier.

De même qu’est reconnaissable la patte d’un auteur de génie, Kristensen nous fait entendre le ton unique d’un conteur singulier. On trouvera d’ailleurs leurs notices biographiques dans le dossier complémentaire. Pour la plupart, ce sont des démunis, des colporteurs, des journaliers, des vagabonds. Ils se déplacent de village en village faisant voyager leurs histoires. Jean Renaud s’est attaché à extraire du vaste corpus de quatre volumes établi par le danois, un choix, une sorte de collecte en second, où la plupart des genres sont représentés. On y trouvera bien sûr des contes merveilleux où la saveur nordique amène une touche tout à fait particulière à ces histoires universelles, de curieux contes facétieux dont les danois ont le secret, sans rien dire de ce frisson sacré qui parcourt le volume comme une preuve de plus, s’il en était besoin, qu’il a su se nicher au cœur du païen.

Le conte est-il un moyen de fuir l'action en se réfugiant dans l'imaginaire? Plutôt que de fomenter une révolte, on rêve que l'on dérobe à l'ogre son cheval d'or et sa lanterne de lune. Mais voler le cheval d'or, n'est-ce pas ôter aux puissants leur pouvoir - qui ne serait plus alors qu'une illusion ? On se dit que l'humanité tout entière rêve dans la même direction. Barbe-Bleue passe pour être inspiré par Gilles de Rais, mais on le retrouve en troll au fin fond du Danemark. C'est que les origines de ces archétypes se perdent dans la nuit des temps. Cette uniformité du rêve est telle, que les folkloristes Anti Aarne et Stith Thompson ont établi, à la fin du XIXe siècle, une classification internationale, qui s'applique aux contes et légendes du monde entier. Elle sert aujourd'hui encore de base aux folkloristes, même s'ils utilisent aussi d'autres méthodes. Tous les contes contenus dans ces deux volumes sont ainsi classés, ce qui permet, partant des visages uniques et typés des conteurs pour arriver à l'universel, de saisir à quel point les théories racistes sont anti-scientifiques et mensongères. Il y a là une preuve aussi forte que les preuves biologiques, et elle est enclose dans des livres.
Nicole Casanova, La Quinzaine littéraire, 1/15 février 2000.