Éditions Corti

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Contes pour les enfants et la maison.

Jacob et Wilhelm GRIMM | Collection Merveilleux (2009)
Édités et traduits par Natacha Rimasson-Fertin |
4ème réimpression prévue fin septembre 2017, dans une édition revue, en 1 volume de 1184 pages et 39 euros.

Voici la première édition intégrale commentée de l’ensemble des 201 contes des frères Grimm auxquels sont joints les 28 textes qu’ils ont supprimés dans la dernière mouture de leur recueil, et 10 légendes pour les enfants.

Natacha Rimasson-Fertin a voulu se démarquer de ses illustres devanciers (Armel Guerne et Marthe Robert notamment) en choisissant une traduction très proche du texte original, dans le souci de faire goûter au lecteur la spécificité du style des frères Grimm.

Les lecteurs français n’avaient pas accès à une édition critique des contes de Grimm, c’est chose faite : chaque conte est suivi d’un commentaire alerte mais précis – le nom des conteurs ou des informateurs, le contexte de la composition, les éventuels remaniements. Ces commentaires font également une large place aux notes que les frères ont eux-mêmes établies dès la deuxième édition et montrent combien ce célèbre recueil a évolué au fil du temps.



“Il n’existait pas à ce jour d’édition scientifique en français des deux cent un contes collectés par les frères Grimm, Jacob (1785-1863) et Wilhelm (1786-1859), au début du XIXe siècle, d’ après la tradition orale du centre de l’Allemagne d’où ils étaient originaires. C’est chose faite désormais, grâce aux efforts conjugués de la traductrice Natacha Rimasson-Fertin et de Fabienne Raphoz (Corti). Les voici donc, ces récits préservés de l’oubli par la volonté des deux frères, mythographes érudits, inlassables collecteurs de contes et légendes qu’ils surent transcrire dans une langue vive et précise. Des récits tantôt heureux, tantôt très noirs, mais toujours « traversés par la même pureté que celle qui fait que les enfants nous semblent si bienheureux et merveilleux », notaient Jacob et Wilhelm Grimm dans de superbes préfaces que Natacha Rimasson-Fertin a eu la riche idée de reproduire ici.

Soit donc deux beaux volumes, copieusement annotés et soigneusement illustrés, où les célèbres Cendrillon, Hänsel et Gretel, Petit Chaperon rouge ou Blanche-Neige cohabitent avec des dizaines d’histoires bien moins célèbres, mais non moins poétiques, truculentes ou précieuses.

Postface, notes copieuses, index précis : l’appareil critique est sans faille, mais jamais pesant – libre au lecteur de choisir de l’oublier ou d’en faire son miel.

De nombreuses illustrations, commentées en fin d’ouvrage, ponctuent le recueil.

Nathalie Crom, Télérama, 24 juin 2009.


Les contes des Grimm doivent leur magie à la souffrance qui les fixe et la liberté qui les porte.

(La suite de l'article de Philippe Lançon, Libération, ci-contre.)



Il y a au fond du conte, continuant de rêver, en état de rébellion à l’état pur, en état de splendeur à l’état pur, un jadis animal aussi intraitable que l’enfant incorrigible. Pascal Quignard
Un texte de Pascal Quignard,
pour Le Monde des livres.


Les contes forment un genre presque inhumain. De nombreux animaux rêvent. Les rêves sont des suites orientées d’images. Plus tard, quand les langues apparurent chez les hommes, la narration linguistique les a insensiblement relayés.

C’est "ce qui n’est pas" qui s’invente dans le conte, comme dans le rêve, comme dans le désir. L’affamé voit tout à coup une table mise couverte de tout ce qu’il préfère. L’assoiffé fonce vers un mirage d’eau qui brille au loin. L’homme frigorifié tire au-dessus de son corps qui tremble un édredon de plumes. L’homme solitaire imagine une femme merveilleuse.

Enfin paraît en France la première édition intégrale des 239 contes collectés par les frères Grimm, y compris les censurés, y compris les retranchés. Cette édition est indispensable à tous ceux qui aiment les livres. Elle est due à Natacha Rimasson-Fertin. Tous les contes ont été retraduits avec la plus grande simplicité possible. Et chacun d’entre eux est commenté, en notes, avec l’érudition la plus sûre.

La beauté des contes, comme le pouvoir des rêves, c’est qu’ils sont portés par un élan qui envahit l’âme irrésistiblement. Ni l’un ni l’autre ne connaissent la position sujet. Le rêveur surgit dans le rêve avec son corps et son visage ; c’est une troisième personne comme les autres personnages du rêve ; comme tous les héros de conte, il y poursuit sa quête.

Le conte pénètre directement dans l’inconscient. Il ne faut jamais expliquer la signification d’un conte à un enfant.

De même, il ne faut jamais espérer une interprétation univoque pour un rêve. Leur pouvoir les précède. Une force sourd en nous. Cette force entêtée ne cherche pas la vérité. Elle est vouée à ce qui n’est pas. Elle est antitemporelle.

Enfin, grâce à Natacha Rimasson-Fertin, depuis presque deux cents ans paraît de façon officielle en français Das eigensinnige Kind (L’Enfant entêté).

Un enfant entêté ne faisait rien de ce que sa mère voulait. Dieu lui envoya une maladie. Il mourut. On l’enterra. A peine eut-on tassé la terre, son petit bras sortit brusquement de terre, tendu vers le ciel. Un homme s’accroupit, allongea le bras de l’enfant sous la terre, l’y maintint, remit sur lui de la terre neuve. Mais le bras ressortit. "Le petit bras ressortait sans cesse. La mère de l’enfant dut alors se rendre sur la tombe de celui-ci et donner un coup de baguette sur son petit bras. Et lorsqu’elle eut fait cela, le bras rentra dans la tombe." Cet entêtement de l’enfant entêté est le rêve.

Entêtement se dit magnifiquement en allemand Eigensinn. C’est le signe fixe comme une idée fixe. De même que rien n’entête que la différence sexuelle, les signes fixes où elle s’interroge précèdent les lettres écrites.

Mais le mot français entêtement, qui date de 1640, est plus extraordinaire encore que le mot allemand. Il dit qu’il y a quelque chose à l’intérieur de la tête qui ne cède pas le pas devant l’acquisition du langage. Il y a une poussée dans le crâne plus forte, plus têtue, plus entêtante que la conscience. Cette poussée fait remonter du mot à l’Histoire, de l’Histoire à la légende, de la légende au mythe, du mythe au conte, du conte au rêve. Le rêve est une "tête rebelle dans la tête", plus ancienne, sans psychologie, sans narrateur. Il y a au fond du conte, continuant de rêver, en état de rébellion à l’état pur, en état de splendeur à l’état pur, un jadis animal aussi intraitable que l’enfant incorrigible.